Quatrième forum mondial du développement durable

Cette réunion est placée sous le thème de la mobilité durable, cet accolement est facteur de confusion s’il n’est pas éclairé. Il risque d’être vite compris comme de la mobilité qui dure, considérant toutes formes de mobilité comme inéluctables.
La mobilité physique est déjà trop souvent conçue comme une valeur positive, supposée apporter le développement économique et social. En couplant mobilité physique et mobilité intellectuelle les organisateurs risquent de renforcer cette confusion. Le même terme recouvre des réalités très différentes.
Le Sommet de Johannesburg a réactualisé les défis du développement durable auxquels nous sommes confrontés. Les pays ont déclaré « nous estimons que l’élimination de la pauvreté, l’adaptation des modes de consommation et de production, ainsi que la protection et la gestion viable du stock de ressources naturelles nécessaires au développement économique et social sont des objectifs primordiaux du développement durable et en sont aussi les conditions préalables. » C’est à ces trois défis que doivent répondre les politiques de mobilité durable.

Or nous sommes encore dans le domaine des transports au stade où nous étions pour l’énergie en 1973, dans une logique d’offre. A l’époque le souci des pouvoirs publics était de programmer la production d’énergie en faisant l’hypothèse d’une élasticité de 1. C’est-à-dire qu’à 1% de croissance économique devait correspondre 1% de croissance de la production d’énergie. Le chiffre était même supérieur pour l’électricité qui devait « mathématiquement » doubler tous les 10 ans, c’est-à-dire progresser de 7% annuellement. Les hausses de prix du pétrole en 1974 puis 1978 ont découplé croissances économique et énergétique, et conduit à parler d’économie d’énergie, à concevoir d’un côté l’énergie utile et de l’autre l’énergie gaspillée, qu’il fallait pourchasser. Il fallait alors mener la chasse au gaspi.

La croissance des transports est considérée comme inéluctable. La croissance de la mobilité est supérieure à celle de l’économie. La mobilité est même supposée pour certain tirer l’économie. Or les effets pervers de cette mobilité sont importants. Les émissions de gaz à effet de serre des transports ont augmenté en France de 2% par an sur la dernière décennie du 20ème siècle et semblent marquer un palier. Mais l’objectif que la France s’est donnée est de diviser par 4 nos émissions en 2050. La trajectoire intermédiaire n’est pas fixée.
Certains considèrent que les percées technologiques permettront d’attendre cet objectif sans engager de diminution auparavant. Nous ne devons pas être victime du syndrome du père Noël, comme les enfants attendent le 25 décembre leurs cadeaux sans vouloir vraiment savoir si c’est leurs parents qui leur offrent, nos sociétés attendraient sagement 2050 que les scientifiques leur offrent la technologie miracle qui résoudrait tout. Non nous ne sommes pas des enfants, nos sociétés devront faire les efforts d’innovation collective et de mobilisation pour atteindre ces objectifs. En prenant une trajectoire régulière, il faudrait diminuer de 3% en moyenne par an. L’écart est de 5% pour les transports ce qui est considérable. Les gains sur les technologies de véhicules doivent être complétés par une maîtrise de la mobilité.

Cela fait plus dix ans que j’ai proposé de faire par analogie avec l’énergie une distinction entre la mobilité choisie et la mobilité subie. Entre celle qui est facteur de développement économique et de progrès social et celle qui est une contrainte subie, coûteuse économiquement, socialement et environnementalement.
Aujourd’hui le prix du pétrole et l’effet de serre ont changé le regard. Nous ne devons pas nous arrêter à la stratégie de Lisbonne mais aussi la stratégie de Göteborg qui vient d’être révisée. La nouvelle Stratégie européenne de Développement Durable de juin 2006 vise explicitement les transports dans un de ses 8 principaux défis et propose dans ses objectifs opérationnels et chiffrés de « dissocier la croissance économique de la demande de transports afin de réduire les incidences sur l’environnement » et de « parvenir à des niveaux de consommation d’énergie dans le secteur des transports qui soient acceptables et réduire les émissions de gaz à effet de serre dues aux transports. ». Cet objectif est repris dans la stratégie française qui a été actualisée le 13 novembre dernier, qui recommande de « confirmer et d’amplifier la décorrélation de la croissance globale de celle des transports en agissant sur les conditions économiques et sociales », notamment en encourageant « les entreprises, les collectivités locales et les administrations à évaluer l’impact sur les transports de leur choix d’implantation et/ou d’organisation » et en mettant en place « une politique de transparence et d’affichage des émissions de polluants et de gaz à effet de serre de chaque opération de transport ».

Il convient donc de maximiser les mobilités de l’information et des savoirs et d’autre part de maîtriser les mobilités de matières et de personnes, tout en se gardant des illusions. La mondialisation de l’information a un effet de traîne et augmente la mobilité. Les forums de rencontre sur Internet consomment peu d’énergie, mais tôt ou tard les cyber-tourtereaux souhaiteront une rencontre plus prosaïque et consommeront… aussi de la mobilité.

Les changements technologiques et les substitutions vers des modes de transport plus sobres, qui mobilisent l’essentiel des politiques, joueront un rôle clé mais ne suffiront pas. Il faudra maîtriser la mobilité, arrêter l’étalement urbain repenser les cycles de production en les raccourcissant.
Comment faire ? Les politiques de management de la demande d’énergie comme celles de maîtrise de la demande, sont des défis pour les Etats centralisés. Les acteurs de l’offre de transport sont mieux organisés que ceux de la maîtrise de la demande. Les coûts de transaction sont plus importants.
Comment impulser de nouvelles politiques ?

– Partager la vision que la mobilité ce n’est pas « automatiquement » facteur de progrès ;
– mettre en place les incitations financières, notamment fiscales, et politiques pour cette maîtrise ;
– développer les solutions organisationnelles comme le travail à distance ;
– déployer le système d’information et d’évaluation qui permettent d’orienter les décideurs vers les meilleurs choix.

Bien entendu la politique de transport est directement liée à celle des localisations des activités : l’aménagement du territoire, les politiques foncières et le marché immobilier ont un rôle essentiel dans la localisation des individus.
Pour l’information, je cite avec intérêt, l’outil développé par l’ADEME et Entreprise pour l’environnement pour calculer les dégagements de gaz à l’effet de serre des transports dans l’entreprise. La SNND propose de généraliser les bilans au niveau des entreprises et des produits. L’impact sur les transports doit faire partie de la responsabilité sociale des entreprises. Cette donnée sera introduite dans les évolutions de la loi NRE qui demande aux entreprises cotées d’élaborer des rapports de développement durable.

Dernier point celui des intensifs économiques et du marché des permis. Certains rêvent d’un marché unique donnant un prix à la tonne de CO2 économisée. Début décembre le prix du CO2 sur le marché européen a baissé en dessous de 7 euros la tonne. En valorisant le kilomètre voyageur déplacé à Paris de la voiture vers les transports collectifs au double, à 15 euros la tonne, on ne dégage que 0,2 centimes d’euros, c’est-à-dire pas de quoi déplacer l’usage ou financer les transports collectifs. Les 15 euros la tonne de CO2 c’est équivalent de 3 dollars le baril, on est loin des 70 $ du baril de pétrole. Pour être incitatif le prix du CO2 des transports devrait atteindre des niveaux qui serait très coûteux pour d’autres activités économiques.

http://www.ecologie.gouv.fr/Quatrieme-forum-mondial-du.html