Un article inconnu de Michel Rocard

En 1974, j’achevais mes études à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne et j’ai été chargé de la publication de la plaquette que l’Association des élèves éditait chaque année. J’avais choisi le thème de la croissance.

Le Club de Rome venait de publier en 1972 le « Rapport MEADOWS » :The Limits to Growth (littéralement Les limites à la croissance), traduit malencontreusement en français par « Halte à la croissance ? ». Le débat sur la croissance était vif en France comme au niveau européen. Sicco MANSHOLT Président de la Commission des communautés européennes avait fait la promotion du bonheur national brut.


J’avais réussi à réunir des articles originaux de quelques plumes prestigieuses, outre le ministre de l’industrie de l’époque Jean CHARBONNEL, Pierre LAFITTE alors directeur des Mines de Paris, René MONTJOIE le Commissaire au Plan, Jacques LESOURNE, Silvère SEURAT, Jean Louis MOYNOT le secrétaire de la CGT, et Michel ROCARD … Alfred SAUVY n’avait pas fait de contribution originale mais avait permis la publication de bonnes feuilles de son livre « Croissance Zéro ». Il avait fait quelques rajouts (à la main dans la marge) dont une phrase d’une grande actualité, dont je n’ai pas trouvé trace ailleurs et donc qui m’est restée comme un cadeau personnel : « les amateurs de modèle se complaisent dans l’onanisme de l’abstraction de peur de s’accoupler avec la monstrueuse réalité. »

Michel ROCARD m’avait demandé si je souhaitais que son article soit tapé à la machine, dans ma candeur naïve j’ai répondu oui et je me suis donc privé d’un article manuscrit de la main de Michel ROCARD. Il critique l’approche du club de Rome qui fait abstraction des problèmes politiques et s’interroge sur celui qui définit les objectifs de la croissance. Son article fait un plaidoyer pour la société socialiste d’autogestion qui serait la rencontre de la responsabilité et de la liberté.

Enfin j’ai conclu le volume par mon premier article (j’avais 22 ans). Je faisais un plaidoyer pour l’énergie solaire et le recyclage qui nécessitait la décentralisation. On y trouve déjà l’économie circulaire et les circuits courts : « A une structure en boucles ouvertes, fonctionnant en parallèle, il faudrait substituer une structure en boucle fermées pouvant fonctionner en série, les déchets d’une industrie pouvant être la matière première d’une autre. »

Il y a plus de 40 ans bien des débats contemporains et des concepts modernes étaient présents, mais ils n’ont pas réussi à s’imposer. Leur relecture aujourd’hui rend modeste. On mesure l’écart entre d’un côté le discours et la capacité de formuler les questions et de l’autre les moyens de les mettre réellement en œuvre.
Christian Brodhag

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