Sciences éclairantes, coutumières des échelles temporelles géologiques, les géosciences nous donnent les principales clés d’analyse du phénomène des changements climatiques. La connaissance des paléoclimats, rendue possible grâce aux échantillons d’atmosphère piégés dans les glaces, est sans doute l’élément le plus déterminant et immédiat dans la compréhension et la mobilisation des décideurs. Les modèles complexes et leurs incertitudes ne parlent pas aussi clairement à l’opinion que des «bulles fossiles ». La bonne connaissance des évolutions du climat, sa modélisation et une observation fine nous permettent d’identifier la contribution anthropique et, par conséquent, les responsabilités directes de nos modes de développement non durables.
La plupart des phénomènes actifs de ces changements se produisent aux interfaces entre les grands réservoirs, atmosphère, hydrosphère, biosphère et lithosphère. Ils ne peuvent être compris que par des approches transdisciplinaires, par le couplage entre des modélisations toujours plus complexes alimentées par des observations toujours plus diversifiées.
Certains de ces domaines d’interface sont traités dans cette édition, comme le retrait-gonflement des sols argileux, l’érosion du littoral et la dynamique des traits de côtes ou les eaux souterraines… Une bonne anticipation de ces changements est la condition d’un dimensionnement correct des politiques d’adaptation. La stratégie française d’adaptation aux changements climatiques, dont la rédaction vient d’être achevée, trace des premières pistes mais elle n’est qu’une première étape qui appelle à la mise en oeuvre d’études régionales mobilisant largement les géosciences.
Sciences agissantes, les géosciences portent leur part de responsabilité dans les changements climatiques puisque l’exploration et l’exploitation des richesses fossiles du sous-sol ont permis l’utilisation massive des énergies fossiles carbonées ; ces gisements fossiles que les activités photosynthétiques du passé lointain ont pu péniblement retirer de l’atmosphère. Les mêmes connaissances vont nous permettre de stocker le CO2. Mais cette application d’avenir prometteuse risque toutefois d’apparaître comme la solution ultime permettant d’exploiter sans compter le charbon. Elle ne nous dispense pas de prendre des mesures d’économie d’énergie et de diversification vers les énergies renouvelables. Dans ce sens les géosciences peuvent aussi apporter leur contribution à la diète énergétique par la géothermie et l’exploitation des énergies marines sur lesquelles la France et la Grande Bretagne mobilisent conjointement leur expertise.
Le monde qui s’ouvre est profondément différent de celui que nous devons abandonner. Au-delà des productions alimentaires, les agroressources seront mobilisées sur l’énergie (biocarburant et biocombustibles), les matériaux ou la chimie. Les tensions sur l’utilisation des terres s’accentueront notamment en compétition plus forte avec les espaces naturels qui procurent de nombreux services écologiques. Ces services des écosystèmes, dont une récente étude des Nations Unies a montré la fragilité et l’importance, mériteraient d’être étudiés de façon approfondie.
La planification de l’usage des terres et la gestion des services écologiques et des agroressources devront s’appuyer sur un recours accru aux géosciences.
Le développement d’approches nouvelles, comme l’écologie industrielle, vise finalement à réguler les grands cycles biogéochimiques comme celui du carbone en intégrant une nouvelle sphère : la socio-technosphère. Si le protocole de Kyoto et la directive européenne sur les quotas ouvrent la piste à un marché des émissions de carbone, ce marché repose sur la capacité à définir des entités, des systèmes pour lesquels on pourra établir des bilans captation /émission de CO2 et construire un système d’allocation vérifiable. Le Plan National d’Allocation des Quotas (PNAQ) ne concerne aujourd’hui que les grandes installations industrielles ; multiplier les projets domestiques, dans le domaine de l’agriculture, des transports ou du bâtiment, nécessite cette capacité de faire un bilan fiable et peu coûteux.
En effet les méthodes développées par les géosciences en termes d’observation, de modélisation, de gestion d’informations géoréférencées ou de représentation mériteraient d’être mobilisées plus largement dans la prise de décision et dans le soutien à des politiques innovantes.
Il faut en effet à la fois que la vérité sociale et économique s’appuie plus sur la vérité scientifique quand celle ci est fondée, et sur des processus de précaution quand elle ne l’est pas. Les sciences en général, et les géosciences en particulier, sont au cœur des stratégies de développement durable, les connaissances scientifiques doivent donc être au cœur de la société, mais pour cela elles doivent apprendre à dialoguer avec les profanes, mettre leurs doutes et leurs certitudes sous les feux des interrogations profondes de la société. Il n’y a de connaissance scientifique aboutie qu’une fois partagée largement par la société.
Cette présente édition contribue à ce partage de la connaissance.