Du SD 21000 à l’ISO 26000

Des travaux initiés en France il y a 10 ans

Après une volonté exprimée au sein du groupe de travail management environnemental de l’AFNOR (X30U), le Comité d’orientation stratégique (COS) environnement décide en septembre 2000 de lancer les travaux sur la mise en œuvre du développement durable dans les entreprises. La Présidence m’est confiée après ma présentation d’un modèle pour approcher cette question que j’appellerai par la suite « enjeux/acteurs importance/performance » mais qui avait été présenté comme la maîtrise d’enjeux significatifs. Le terme de significatif était audible pour un public imprégné de l’ISO 14001 et de l’identification des aspects environnementaux significatifs. Il apparaissait nécessaire de rechercher une synergie entre des approches substantives (des enjeux dont on qualifiait le niveau de maîtrise) et procédurales dans la double composante du système de management et de la prise en compte des parties intéressées (on dit maintenant parties prenantes) (voir encadré).

Le groupe de travail rassemble près de 100 membres représentant des parties prenantes variées assez proche de celles qui participeront à l’élaboration de l’ISO 26000, permettant la confrontation des mêmes différents points de vue. Le groupe de travail publie fin 2001 un premier rapport « Entreprises et développement durable » et attaque la rédaction d’un document à destination des entreprises.

Le guide qui sera baptisé SD 21000 (formellement AFNOR FD X30 021) sera proposé en consultation publique fin 2002. 82 organismes ont répondu. Le document porte sur le thème « Développement durable – responsabilité sociétale des entreprises » « Guide pour la prise en compte du développement durable dans la stratégie et le management des entreprises »

L’UIMM a proposé lors de la séance finale un amendement demandant la réciprocité, ce qui n’avait pas émergé des débats, mais a amélioré le texte. Si l’entreprise devait répondre aux attentes des parties prenantes, il devait y avoir une réciprocité : les parties prenantes devaient aussi prendre en compte les attentes de l’entreprise.

La proposition de le considérer comme « fascicule de documentation » non destiné à des fins de certification recueille les ¾ des voix. Une révision est faite sur la base de l’enquête et la version définitive du guide rédigée en début 2003 et parue le 19 mai 2003 suite à une enquête finale.

En parallèle à cette discussion multiparties prenantes, il fallait mettre au point une méthode concrète et l’expérimenter. Un premier travail sera entrepris à l’Ecole des Mines de Saint-Etienne par Delphine LORCA dans le cadre de son stage en alternance de DESS de développement local (Université Jean Monnet), de septembre 2002 à juin 2003. Des échanges auront lieu au sein de l’ARAQ association pour la qualité (Loire) qui ont permis la mise au point d’un outil de prédiagnostic dans les entreprises du président et des vices présidents de cette association (entreprise Nigay, Chocolaterie Aiguebelle et carrosserie Ducarme). Cette première ébauche d’expérience sera approfondie par Karen Delchet dans le cadre d’une bourse CIFRE (Ecole des Mines / CAP AFNOR) à partir de mars 2003. [[Karen DELCHET, Développement durable. L’intégrer pour réussir, 80 PME face au SD 21000, Publication de thèse de doctorat, Editions AFNOR, 2007, 394 p. En libre téléchargement http://www.agora21.org/entreprise/these8.html]]

Une expérimentation nationale est lancée en juin 2003, lors des assises nationales du développement durable de Lille, et un site Internet est ouvert en septembre de la même année. L’expérimentation touchera la plupart des régions, avec un soutien du Ministère d’Industrie, de l’ADEME, des collectivités locales (régions) et de l’ACFCI. On disposait ainsi d’un outil qui sera largement expérimenté en France dans le cadre d’opération collectives une dizaine d’entreprises par région en général [[Christian BRODHAG, Natacha GONDRAN, Karen DELCHET, Du concept à la mise en œuvre du développement durable : théorie et pratique autour de guide SD 21000, Vertigo, Volume 5 n°2. Novembre 2004.]] [[ Karen DELCHET, Natacha GONDRAN, Christian BRODHAG, La prise en compte des parties intéressées : une condition nécessaire de la responsabilité sociétale des entreprises mais non suffisante dans une perspective de développement durable – Analyse des résultats des expérimentations du guide Afnor SD21000 auprès de 78 entreprises. /Revue Internationale PME/. volume 20, n°3-4, 2008, pp.121-145.]]. Fort de son avance le département de la Loire sous l’impulsion de l’ARAQ avec la participation du CIRIDD et de la CCI a même touché 21 organisations 20 entreprises et l’administration de l’équipement de la Loire (DDE).

Mais il fallait faire connaître ces travaux au niveau international. Le SD 21000 (X30 021) a été traduit en anglais et largement diffusé dans les organismes de normalisation. Le Brésil ou le Mexique par exemple se sont appuyés en partie sur le SD 21000 pour élaborer leur document national sur la RSE.

Les services de la Commission Européenne, souhaitaient faire converger les différentes initiatives prises en Europe. Une cartographie des outils est réalisée et l’AFNOR (Karen Delchet) participe à un projet européen en 2004, qui comparera les référentiels : italien (Q-RES), allemand (VMS), britannique (SIGMA), AA1000 de Accountability et le français (SD 21000) sur la responsabilité sociétale des entreprises afin de contribuer à leur convergence [[Simone de COLLE (editor), Contributing to the convergence of CSR management standards in Italy, Germany, France and the UK by developing and promoting a common CSR framework, terminology and management tools, Final research report, 2005, LIUC University of Castellanza, Italy, http://www.basisboekmvo.nl/files/csritaly.pdf]].

Ce rapport montre que seul deux référentiels couvrent à la fois les deux champs substantifs et procéduraux : SD2100 et SIGMA. Ce dernier s’appuie sur une logique de capitaux (humain, social, économique, technologique et environnemental), ce qui est une façon de transformer des dépenses considérées comme non productives en investissement. Mais ces concepts n’ont pas été portés par la suite par la délégation britannique, sans doute parce que ce travail très étayé (beaucoup plus documenté que le SD 21000) avait été réalisé par des consultants pour BSI et n’avait pas été coconstuit et donc approprié par les parties prenantes. Sa complexité le rendait aussi peu accessible aux PME.

Ces activités tenaient bien entendu compte du calendrier de l’ISO qui se déroulait en parallèle. Le comité ISO pour la politique en matière de consommation (COPOLCO) recommande[[COPOLCO. The Desirability and Feasibility of ISO Corporate Social Responsibility Standards, Final Report. Genève: ISO 2002]] en juin 2002, la mise en chantier d’un système de management social certifiable au même titre que l’ISO 9001 pour la qualité représentant, à ses yeux le volet économique du développement durable, et la norme ISO 14001 représentant le pilier environnement. Le Conseil de l’ISO (TMB) donne mandat à un groupe consultatif de haut niveau afin de savoir s’il conviendrait ou non d’élaborer des normes ISO ou d’autres référentiels traitant de la responsabilité sociétale des entreprises. Les conclusions de ce groupe [[Strategic Advisory Group (SAG), Recommendations to the ISO Technical Management Board. Genève: ISO. 2004]], en février 2003, recommandent à l’ISO les bases du travail et proposent notamment que les travaux portent sur tout type d’organisation et que ce ne soit pas un système de management certifiable tel que le proposait la COPOLCO mais des lignes directrices générales (« guidance »).

C’est l’approche qui avait été adoptée par le SD 21000 « entreprise ». La thèse d’Adrien Ponrouch lancée en septembre 2004 [[Adrien PONROUCH, 2008, Processus de mise en œuvre du développement durable par les collectivités. Suivi-évaluation et adaptation du SD 21000, thèse pour le doctorat de sciences de la Terre et de l’environnement, École Nationale Supérieure des Mines de Saint-Etienne, soutenue le 17 avril (en libre téléchargement : http://www.agora21.org/entreprise/these10.html).]] (bourse ADEME) permettra de voir si les concepts qui fondaient le SD 2100 entreprise étaient robustes dans un autre contexte et pouvaient être transférées aux collectivités. Adrien Ponrouch apporte une réponse affirmative en apportant un raffinement les 3 niveaux : une approche opérationnelle (fonctionnement, ecoresponsabilité…), sur les missions (les compétences de la collectivité) et un troisième niveau la coordination stratégique, c’est-à-dire la gouvernance locale, le processus de coopération qui permet de faire réaliser les objectifs de développement durable par d’autres acteurs sur lesquels la collectivité n’a pas d’autorité mais peut faire valoir d’une influence. On retrouvera finalement ce troisième niveau dans l’ISO 26000 avec la notion du périmètre d’influence.

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Sans reprendre ici une analyse trop théorique, on oppose en général deux visions du champ de la responsabilité sociétale : une approche substantive, qui porte sur la performance et les résultats, qui peuvent ou non être qualifiés par des indicateurs, et une approche procédurale qui porte sur les processus et les comportements [[Michel CAPRON, Françoise QUAIREL, Mythes et réalités de l’entreprise responsable – Acteurs & Enjeux & Stratégies, Editions La Découverte, collection « Entreprise & Société », Paris, 2004]]. Si les termes substantif/procédural paraissent un peu théorique on peut aussi dire objectifs et moyens. Bien entendu toute organisation doit s’inscrire dans ces deux dimensions. Les systèmes de management et leur certification (qualité ISO 9001 ou environnement 14001) s’inscrivent dans une approche procédurale, ils ne garantissent pas une performance de qualité ou d’environnement mais que les conditions organisationnelles et les moyens sont déployés pour atteindre cette performance.

Cette dualité performance/moyens que l’on trouve dans la mise en œuvre rejoint une autre opposition plus stratégique et politique des visions de la responsabilité sociétale : une vision institutionnaliste qui reconnait aux institutions un rôle central dans la définition des objectifs de développement durable et une vision contractualiste qui considère l’organisation (l’entreprise) comme un être moral qui va sceller des contrats avec d’autres entités de la société. La première vision, se rattachant à l’approche substantive, est défendue par les pays européens. La seconde, se rattachant à l’approche procédurale, est défendue par les Etats Unis.

L’ISO 26000 ne fait pas le choix d’un modèle contre l’autre mais propose un modèle hybride. A cet égard on peut remarquer par exemple que sur les sept principes de responsabilité sociétale (chapitre 4 de l’ISO 26000) quatre se rattachent à la vision contractualiste (redevabilité, transparence, conduite éthique, respect des intérêts des parties prenantes) et trois à la vision institutionnaliste (conformité légale, respect des normes internationales de comportement, respect des droits humains).

Cette synthèse laborieusement construite en 5 ans de négociation a remporté l’adhésion de la plupart des pays (93%) et de toutes les parties prenantes sauf les organisations des employeurs. Si les Etats Unis ont voté contre c’est que l’approche institutionnaliste qui donne un poids essentiel au système multilatéral est vraiment contraire à leur conception du monde.

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Encadré : Des visions opposées de la responsabilité sociétale

Proximité et différences.

Lancée en 2000, formalisée en 2003 dans un premier texte (FD X30 21) [[FD X 30-021, SD 21000, Développement durable – Responsabilité sociétale des entreprises, Guide pour la prise en compte des enjeux du développement durable dans la stratégie et le management de l’entreprise, AFNOR, mai 2003]] et incarnée en 2004 à travers une méthodologie concrète déployée avec plusieurs centaines de PME sur l’ensemble du territoire (FD X30 23) [[FD X 30-023, Développement durable – Responsabilité sociétale, Document d’application du SD 21000, Guide pour l’identification et la hiérarchisation des enjeux de développement durable, AFNOR, avril 2006]] l’approche française du développement durable et de la responsabilité sociétale avait adopté une approche qui a été en grande partie celle qui fonde l’ISO 26000. En anticipant de 3 à 4 ans le processus ISO la France avait pu débroussailler la question. Le positionnement clair du SD 21000 sur ce qui pouvait fonder un consensus international, l’adhésion sans faille de la commission de normalisation et de la délégation française à ce modèle, l’engagement concret dans la rédaction, le fait que cette approche avait fait ses preuves avec des PME, et la capacité de dialogue avec les autres participants à la négociation (notamment les pays francophones) ont joué un rôle essentiel pour aboutir à un texte de l’ISO 26000 assez proche de l’esprit du SD 21000.

Le SD2100 reposait sur l’identification des enjeux significatifs au regard de son activité et de son implantation géographique sur lesquels l’entreprise se donnerait des objectifs concrets de performance. 34 thèmes porteurs d’enjeux sont identifiés dans le document (FD X30 23) regroupés en 5 catégories : 1 enjeux transversaux ; 2 enjeux économiques ; 3 enjeux sociaux, 4 enjeux environnementaux / écologiques, et 5 Gouvernance et pratiques managériales.

L’ISO 26000 fixe une liste de questions centrales qui sont assez différentes : 1 la gouvernance de l’organisation ; 2 les droits de l’Homme ; 3 les relations et conditions de travail ; 4 l’environnement ; 5 la loyauté des pratiques ; 6 les questions relatives aux consommateurs ; et 7 les communautés et le développement local) découpés en domaines d’action. L’ISO 26000 aborde les questions de Droit de l’Homme ou de Loyauté des pratiques qui sont absentes du SD 21000. Le thème environnement est traité différemment. Le SD 21000 avait adopté une approche classique eau, énergie, déchets… alors que l’ISO 26000 le traite sous forme ressources, pollutions, changement climatique et biodiversité.

L’identification des enjeux repose dans le SD 21000 sur quatre éléments : les principes de développement durable, les bonnes pratiques sectorielles, les réglementations et standards et les attentes parties des prenantes. C’est précisément ce qui fonde l’ISO 26000. Le SD 21000 n’envisageait que l’espace national, l’ISO 26000 international reconnait le principe de conformité légale et le complète par les normes internationales de comportement : des normes issues du droit international visant les Etats mais que toute organisation peut adopter. Malgré ces différences, il y a beaucoup de problématiques communes. Mais il faut chercher ailleurs la véritable proximité des deux documents.

Il apparait bien a posteriori que cette ‘hybridation entre les deux approches, substantive orientée performance de résultat et une approche procédurale orientée vers les parties prenantes, est le principal acquis de l’ISO 26000. Or le SD 21000 qui avait adopté ce modèle a préfiguré la solution en montrant aussi son opérationnalité, notamment au sein de petites et moyennes organisations (PMO). La méthode visant à hiérarchiser l’importance des enjeux et la maitrise (la performance) permettait de focaliser les actions de progrès de l’entreprise vers les questions les plus importantes et les moins maîtrisées. Une réflexion sur les parties prenantes, permettait d’amender cette hiérarchie sur les objectifs (en intégrant, à l’action, des thèmes porteurs d’enjeux importants au regard des parties prenantes) mais aussi d’identifier les parties prenantes avec qui l’entreprise devait s’impliquer. Cette approche peut parfaitement être reprise pour l’ISO 26000 sous réserve d’adaptation. Développer une telle méthode qui a fait ces preuves, est d’autant plus nécessaire que la principale citrique des milieux économiques voire des Etats Unis est la complexité du texte et sa difficulté de mise en œuvre par les PMO.

A cette approche qui permet du sur-mesure et une adaptation à chaque organisation, certains préfèrent proposer une sorte de prêt-à-porter, une certification passe-partout malgré un texte de l’ISO 26000 qui ne s’y prête pas et l’interdise même formellement.

La performance légitimement attendue vis-à-vis des questions centrales d’une organisation dans un contexte et un secteur particuliers ne peut pas être déduite directement et facilement du texte de l’ISO 26000. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’ISO 26000 n’est pas certifiable. Les performances attendues ne peuvent être identifiées qu’à travers des processus d’analyse du contexte c’est-à-dire des questions clés de développement durable, des problématiques des communautés impactées et des attentes formulées par les parties prenantes. La capacité de l’organisation à atteindre ces attentes dépendent de ses moyens financiers et humains, de la maturité de ses pratiques et de son management au vu de ces questions, de l’ambition des attentes formulées. Cette capacité dépend aussi des alliances, des partenariats et des initiatives dans laquelle l’organisation va s’insérer. C’est en rapprochant les attentes du monde extérieur et ses capacités, que l’organisation va établir sa stratégie et sa trajectoire de progrès. C’est en mettant en place des mécanismes de dialogue avec les parties prenantes que l’on pourrait définir des objectifs de performance et un éventuel référentiel susceptible de certification ou de labellisation.

C’est pourquoi en l’état la certification n’a pas de sens. Certes une méthode sur le comment faire est toujours utile. Mais on ne peut pas réduire de l’ISO 26000 un système de management et de gouvernance tant ceux-ci sont contingents et dépendent du contexte. Ceux qui prétendent faire un audit de conformité à l’ISO 26000, se basent sur un conformisme à des théories managériales ou organisationnelles qui n’ont pas été validées par le groupe de travail ISO. En revanche une fois la stratégie adoptée et les objectifs de performance arrêtés, des audits de vérification des performances peuvent être menés.

L’élaboration d’une stratégie est de la responsabilité de l’organisation, elle est redevable (accountable) de ses choix vis-à-vis des parties prenantes. Elle doit justifier les raisons de ces choix et la façon dont elle les a faits, et in fine qu’elle fait bien ce qu’elle a dit.

La méthode SD 21000 (FD X30 023) adaptée à l’ISO 26000, peut aider une organisation à mener sa réflexion stratégique et à élaborer son programme d’action, à servir de base à son dialogue avec des parties prenantes, et plus largement son formalisme (niveau importance et performance) permettrait de partager des réflexions collectives ou d’élaborer des référentiels pour des filières.