Discours de clôture du colloque sur la Charte constitutionnelle de l’environnement à la cour de cassation

Monsieur le Président, mesdames, messieurs,

Je tiens avant tout à excuser l’absence de Mme Nelly OLIN, Ministre de l’Ecologie et du développement durable. Il est de tradition de parler d’un Agenda de ministre, pour évoquer un agenda chargé. Il faut rajouter un agenda de nouveau ministre, plus chargé encore du fait des échéances internationales dans son portefeuille de responsabilité.
Elle m’a donc chargé de la remplacer et d’exprimer auprès de vous son soutien et l’intérêt qu’elle manifeste pour vos travaux qui sont les premiers d’une telle ampleur sur la charte, non plus vis-à-vis du projet de charte, mais désormais sur les conditions de sa mise en œuvre depuis son adoption par le Congrès le 28 février dernier.
Cette manifestation a été placée sous le patronage du Président Jacques CHIRAC, cela prend tout son sens quand on connaît son engagement personnel sur ce dossier, et je peux en témoigner.
Vous me permettrez aussi de goûter personnellement ce moment. Comme membre de la commission Coppens, j’ai eu le privilège d’être impliqué dans la genèse de ce texte fondateur.

La France a déjà joué un rôle de pionnier en plaçant l’environnement dans sa Constitution. Mais en inscrivant la Charte de l’environnement au même niveau que les droits de l’homme de 1789 l’exemplarité est encore plus forte vis-à-vis de la communauté internationale.

Comme le dit le préambule de la charte « l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ». La récente Évaluation des écosystèmes pour le Millénaire menée par les Nations Unies ne dit pas autre chose en mettant l’accent sur la manière dont les changements au niveau des services provenant des écosystèmes, les services écologiques, affectent le bien-être de l’homme. Le constat est alarmant car près de 60%, c’est à dire 15 services sur les 24 évalués, sont en cours de dégradation ou sont utilisés de façon non durable, incluant les eaux douces les ressources halieutiques, l’atmosphère et l’eau, la régulation du climat au plan régional et local, les risques naturels… Selon les Nations Unies, faute d’une inflexion des politiques, la dégradation des services écologiques devrait s’accélérer de façon significative au cours de la première moitié du siècle, et être un obstacle à la réalisation des objectifs du millénaire de lutte contre la pauvreté.

La Charte est fondatrice car elle balance les droits par des devoirs.

Vous avez, j’imagine, évoqué la première décision rendue par le juge des référés d’un tribunal administratif qui a accueilli un référé liberté sur le fondement de l’article 1er de la Charte, prenant ainsi clairement partie en faveur d’une conception large de la portée du droit reconnu par ce texte.

Mais si selon ce texte « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » ce droit se paie à l’article 2 d’une obligation : « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. » La charte établit donc un principe de responsabilité, mais en citant dans son préambule par deux fois le terme d’humanité elle place ce principe à un niveau nouveau.

Les errements du XXème siècle ont conduit à prendre conscience d’une nouvelle échelle dans les crimes : les génocides ont été élevés au rang des crimes contre l’humanité. Ils sont reconnus comme étant d’une nouvelle nature. L’aube du XXIème siècle est celui de la prise de conscience de nouveaux risques environnementaux globaux dont l’échelle dépasse le niveau individuel, ils sont reconnus d’une autre nature. La portée de la responsabilité dont il est question est universelle puisqu’elle s’élargit aux générations futures et aux autres peuples.

C’est aussi ce dépassement que consacre l’article 5 avec le principe de précaution qui s’applique à des risques graves et irréversibles.

Les huit autres articles préciseront l’application de ces principes. La plupart d’entre eux ont des conséquences juridiques qui ont largement été débattues ici.

En collaboration étroite avec le ministère de la justice, le ministère de l’écologie et du développement durable élabore un document mettant en perspective la Charte et en expliquant ses dispositions et ses enjeux. Ce document, qui est en cours de validation, se veut un outil d’information et un outil de travail destiné dans un premier temps aux services juridiques des ministères techniques. Il a, à terme, l’ambition de s’adresser aux acteurs et catégories professionnelles concernées par la Charte : parlementaires, , les professionnels de la justice, professions juridiques et judiciaires, associations, universitaires. J’imagine sans peine que les représentants du ministère de l’écologie qui ont pu assister à vos travaux vont, dès demain, travailler à enrichir ce document à partir des débats et réflexions de ces deux derniers jours.

N’ayant pas pu assister à l’ensemble de ces débats je me garderai d’en tirer des conclusions sur le plan juridique, je me bornerai mon propos à deux points.

Le premier point est que la charte ne doit pas être seulement un objet de droit, une ouverture au contentieux mais fondatrice de projets nouveaux. Bien entendu les droits de l’homme auprès desquels la charte est placée, ont généré un droit et des procédures permettant d’en garantir l’application, mais il s’agit avant tout du socle républicain de notre contrat social. Les bases de notre développement économique et social. La charte de l’environnement est de cette nature elle fonde un progrès partagé et nouveau qui ne se situe plus comme une activité destructrice de la nature. La charte créer une mobilisation positive vers un développement durable. Loin de freiner la recherche et la science et la technique elle leur ouvre des horizons nouveaux. Même si elle ouvre le champ à des contentieux, ce n‘est pas son objectif premier.

Le second point portera sur les premières conséquences que les différents articles de la charte ont eues sur le renforcement ou le déploiement de nouvelles politiques. En effet comme le remarquait le sénateur Patrice GÉLARD, de nombreux articles ont plus une portée politique que juridique. C’est pourquoi je vais évoquer tour à tour les articles de la Charte.

Selon l’article 3, toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences. Au-delà bien entendu de la loi et des politiques publiques qui s’imposent aux tiers, l’Etat s’impose à lui-même ces principes. La stratégie de nationale de développement durable mobilise les administrations grâce au programme d’action dit de l’Etat exemplaire. La commande publique, qui représente près de 15% du PIB, est aujourd’hui orientée vers des produits respectant l’environnement grâce à la réforme du code des marchés publics intervenue en 2004. En matière d’achat public de bois et de produits dérivés, par exemple, une circulaire du Premier ministre à tous les ministres engage les acheteurs publics vers des systèmes de certification de la gestion durable des forêts et aux écolabels officiels pour les produits à base de bois.

De façon plus générale, cette obligation de prévenir les dommages causés à l’environnement comme celle de contribuer à la réparer qui est posée à l’article 4 vont être prochainement précisées par le législateur, dans le cadre de la transposition de la directive 2003/35 du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. Le ministère de l’écologie et du développement durable entend en ce domaine novateur, qui suscite l’intérêt légitime de tous, associations, entreprises, assureurs, représentants de l’administration, veiller à une application pleine et entière de la Charte.

Pour sécuriser l’article 5 qui précise le principe de précaution, le séminaire gouvernemental sur le développement durable du 23 Mars 2005 a décidé la mise en place d’un groupe de travail pour préciser la notion de risques « graves et irréversibles ». Cette identification pose des problèmes liés à la connaissance scientifique et l’expertise au sein de la communauté scientifique mais aussi à l’interface avec l’autorité judiciaire et l’opinion publique. Je conduirai ces travaux avec l’appui du Ministère de la recherche, et le Premier ministre devrait cadrer prochainement ma lettre de mission. Il faudra sur ce point concilier les aspects substantifs qu’introduit ce principe d’application directe et les aspects procéduraux qui permettront sa mise en œuvre. Il n’est en effet pas prévu de renvoyer sa mise en œuvre à des conditions à définir par la loi, mais il faut rendre opérationnel son application. Je suis donc sur ce point particulièrement à votre écoute.

L’article 6 précise que les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. Le cadre général en a été défini grâce à l’adoption d’une Stratégie nationale de développement durable en juin 2003, qui est suivie et complétée progressivement, et à dispositif administratif avec un Délégué Interministériel au Développement Durable qui anime et coordonne un réseau de 20 hauts fonctionnaires du développement durable. La ministre en charge du développement durable, Mme Nelly Olin a d’ailleurs présenté son avancement lors du Conseil des Ministres du 8 juin dernier. Comme on ne peut être juge et partie la France a soumis cette stratégie nationale de développement durable à des représentants de la Belgique, du Ghana, de Maurice et du Royaume Uni qui ont formulé des recommandations. J’ai présenté les résultats de cet exercice original et pionnier à la Commission du développement durable des Nations-Unies le 14 avril dernier. La communauté internationale considère cette approche avec grand intérêt et les Nations Unies ont sollicité notre appui pour l’organisation d’une manifestation à l’automne visant à généraliser cette pratique.

L’article 7 garanti l’accès aux informations relatives à l’environnement et la participation à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. Cet objectif, auquel la France a confirmé son attachement parla ratification de la convention d’Aarhus est déjà affirmé dans notre droit interne. Le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale, va préciser et compléter les conditions d’application de ces droits essentiels à l’effectivité du droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé.

L’article 8 porte sur l’éducation et la formation à l’environnement qui doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la Charte. Après une phase d’expérimentation, l’éducation à l’environnement pour un développement durable est entrée, à la rentrée 2004, dans une phase de généralisation. En 2004-2005, dans toutes les académies, des écoles et des établissements scolaires ont mis en place des actions, dont certaines sont valorisées grâce à Internet sur les espaces EEDD des 24 sites académiques.
Dans chaque académie, des comités de pilotage ont été mis en place qui organisent la formation des enseignants, chefs d’établissement et personnels administratifs, s’appuient sur des personnes relais pour recueillir et diffuser des ressources relatives à l’EEDD.

L’article 9 concerne la recherche et l’innovation. L’implication de la recherche dans la réalisation de la stratégie nationale de développement durable s’appuie sur les moyens d’intervention du Fonds national de la science et du Fonds de la recherche et de la technologie mobilisés notamment sur la biodiversité, les risques naturels et dans le cadre de programmes sectoriels prévus par la SNDD, comme le Plan climat, le Plan « Véhicules propres », le Plan national santé environnement, le Programme de recherche et d’études sur le bâtiment et le Programme de recherche sur les transports.

Enfin l’article 10 mobilise sur les principes de la charte l’action européenne et internationale de la France. Je dois bien entendu citer à cet appui, la mobilisation d la France pour renforcer les mécanismes multilatéraux notamment l’ONUE, l’Organisation des Nations Unies de l’Environnement.

La Charte de l’environnement, pièce maîtresse de notre droit, refonde donc notre socle républicain et d’ores et déjà elle est le fondement de nos politiques.

Je vous remercie de votre attention.

Source : http://www.ecologie.gouv.fr/article.php3?id_article=4332