Pas d’avenir de la biodiversité sans la science et les territoires VV158

La chronique de Christian Brodhag

N°158 Valeurs Vertes pp 27-29

Pour sa septième session annuelle l’IPBES, la plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, a publié un rapport très alarmant sur l’état de la biodiversité.

Je ne reprendrai pas ici les principaux chiffres qui ont été largement diffusés dans les médias. Cet organisme que l’on qualifie de GIEC de la biodiversité s’installe progressivement comme une institution à part entière aux côtés de la Convention.

Contrairement au GIEC, créé avant la signature de la Convention Climat, l’IPBES a été seulement mis en place en 2012, vingt ans après la convention. La convention reconnaissait en 1992 que les connaissances sur la diversité biologique faisaient encore défaut et qu’il était nécessaire de développer les moyens scientifiques.

Mais si la convention notait les avantages de la biodiversité sur les plans environnemental, économique et social, il a fallu attendre 2005 et le rapport des écosystèmes pour le millénaire pour formuler le concept des services écosystémiques qui montre précisément comment les humains et les sociétés dépendent de services dispensés par les écosystèmes. L’IPBES traite donc des deux sujets : la biodiversité et les services écosystémiques. Avec so1: dernier rapport, l’IPBES a vraiment_ acquis le statut d’institutio1: scientifique mondiale de la b1od1versité. Aujourd’hui appuyée sur le GIEC et l’IPBES la science est solide, ceux qui le nient ne sont plus des sceptiques mais des négationnistes.

En 1992 on pouvait invoquer des incertitudes scientifiques, donc la nécessité d’agir en application du principe de précaution. En face le scepticisme pouvait s’exprimer, y compris dans les rangs des scientifiques puisque le doute est un élément de l’élaboration de la science. Aujourd’hui appuyée sur le GIEC et l’IPBES la science est solide, ceux qui le nient ne sont plus des sceptiques mais des négationnistes. Il ne s’agit pas seulement de climato-négationnistes, mais d’éco-négationnistes car la question de la biodiversité doit être traitée à égalité avec celle du climat (1).

Tirer tous les enseignements de la science

Or le négationnisme s’installe dans les réseaux sociaux et certains médias, et revendique que ces questions soient affaire de liberté d’opinion. Un journaliste climato négationniste trouve hystérique Claire Nouvian qui défend les connaissances scientifiques en face de l’ignorance ou de la mauvaise foi. L’opinion publique doit être éclairée, car seulement 65% des Français considèrent que le changement climatique est un problème causé principalement par l’activité humaine. Le tiers des Français serange ainsi dans le camp des climato- négationnistes. La responsabilité des médias est de ne pas cultiver l’ignorance en flattant cette « part de marché » mais de s’attacher aux faits établis. Le négationnisme touche certains chefs d’Etat, au climato-négationniste Donald Trump qui relance le charbon, l’éco-négationniste Jair Bolsonaro répond en écho en voulant détruire la forêt amazonienne ce territoire « improductif et désertique ».

Mais si les responsables politiques français n’affirment pas leur négationnisme, ils ne tirent pas tous les enseignements de la science. La science ne se borne pas à donner des signaux d’alerte généraux elle établit les relations entre les comportements humains, la société et la biosphère. La connaissance scientifique doit donc s’imposer aux responsables politiques. En face du populisme qui refuse les institutions politiques, et au négationnisme qui conteste les institutions scientifiques, le monde politique a intérêt à soutenir la science sans céder à l’ignorance. Le président Macron a réagi au rapport de l’IPBES, en rajoutant la question biodiversité à l’agenda climatique, sans mesurer à quel point cela est un défi politique.

Des territoires informés de la biodiversité

La biodiversité concerne avant tout les territoires et donc les collectivités locales. En effet le climat est lié à des flux d’énergie pour lesquels l’Etat dispose de leviers politiques et fiscaux, mais la biodiversité est liée à des stocks notamment en termes d’usage des sols, des espaces naturels et de la biomasse des écosystèmes. La biodiversité doit avant tout être protégée et les services des écosystèmes gérés au niveau local. Cela rend plus crucial encore le problème de l’absence de connaissances en écologie des décideurs locaux. Les espaces ruraux sont ceux où les services des écosystèmes peuvent être protégés et valorisés ils sont sous l’influence des fractions les moins éclairées de l’agriculture et de la chasse qui ont une influence nuisible et antiscience en matière d’écologie et d’écosystèmes.

La biodiversité nécessite des connaissances en écologie d’un côté et la mobilisation d’une panoplie d’outils politiques de l’aménagement du territoire de l’autre.

Le taux de 1,4% d’artificialisation annuel est un élément déterminant de la destruction de la biodiversité. Le plan national biodiversité de juillet 2018 affirme limiter la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers pour atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette, mais il ne s’en donne pas les moyens.

Stopper l’artificialisation des terres

La question de l’étalement urbain a été vue au prisme de la seule question climatique et le levier du prix du carburant. Le mouvement des Gilets jaunes a eu raison de cette mesure, qui va être compensée pour ceux qui sont en situation difficile, ce qui encouragera la poursuite de l’étalement. La solution immédiate proposée pour le climat est le changement de motorisation vers l’électricité. Mais l’encombrement urbain et le développement d’infrastructures liées à l’automobile, électrique ou carbonée, est un facteur d’artificialisation. La question de la biodiversité éclaire la question sous un jour nouveau.

La connaissance scientifique doit donc s’imposer aux responsables politiques. …

La connaissance scientifique doit donc s’imposer aux responsables politiques.

Comment lutter à la fois contre la ségrégation sociale spatiale et pour le climat et la biodiversité sinon à faire baisser le coût d~ logement en zone urbaine pour lequel le prix du foncier est déterminant ? L’étalement urbain est une question systémique l’encombrement urbain et le développement d’infrastructures liées à l’automobile, électrique ou carbonée, est un facteur d’artificialisation. liée au prix du logement et de la part du foncier, au manque de fluidité du marché dans les zones urbaines du fait de comportements spéculatifs et d’incitations à aller en zone rurale.

Le passage en zone constructible crée une aubaine sur la valeur du foncier qui conduit ses propriétaires à spéculer et à faire pression pour artificialiser les sols. Les agriculteurs propriétaires ont tout intérêt à vendre en zone constructible plutôt que de continuer à exploiter. Les propriétaires d’espaces naturels sont par ailleurs fortement taxés. L’urbanisation devrait être strictement circonscrite aux zones déjà construites et disposant de transports collectifs. Il faudrait lier la déclaration de constructibilité d’un terrain à l’obligation de construire à court terme, out en taxant les plus-values foncières pour redistribuer son produit en faveur des autorités locales pour l’investissement en d’infrastructure. Il faudrait donc d’un côté, une augmentation de la fiscalité sur le foncier non bâti dans les zones urbaines et d’autre part sa diminution dans les zones naturelles. Améliorer la biodiversité en ville Il faut dans le même temps faire progresser la biodiversité en ville. Des éco-quartiers et des espaces verts sont attractifs en termes de qualité de vie, et limitent les ilots de chaleurs. Une ville attractive et accessible à toutes les classes sociales est une des conditions de l’arrêt de l’artificialisation.

C’est encore une question systémique pour laquelle les connaissances scientifiques pluridisciplinaires sont déterminantes, et mal partagées auprès des élus et des acteurs socio-économiques du territoire. Il est nul besoin d’être climatologue pour mettre en œuvre la réduction des émissions en revanche il faut une connaissance minimale en biodiversité pour interagir avec elle. Non seulement ces connaissances manquent, mais des connaissances erronées subsistent, des connaissances issues de traditions et d’une époque où on clouait les chouettes à la porte des granges pour se préserver du mauvais sort et des esprits malfaisants.

Puisse la reconnaissance internationale de la science écologie, à travers l’IPBES, se retrouve au niveau des territoires.

(1) Voir mon éditorial« Négationnisme écologique et duplicité politique », Valeurs Vertes 26 Avril 2019, n°157 .