Les villes et les territoires en première ligne pour le climat, mais comment ?

Tribune parue sur Construction 21

Le rapport pour les décideurs du GIEC qui vient de paraitre donne un rôle important aux villes tant pour l’atténuation, c’est-à-dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre, que l’adaptation aux changements climatiques déjà observés et qui s’aggraveront dans les années à venir.

Il considère que « les systèmes urbains sont essentiels pour parvenir à d’importantes réductions des émissions et faire progresser le développement résilient au changement climatique. Les principaux éléments d’adaptation et d’atténuation dans les villes comprennent la prise en compte des impacts et des risques liés au changement dans la conception et la planification des implantations et des infrastructures. (…) Les transitions urbaines offrent des avantages pour l’atténuation, l’adaptation, la santé et le bien-être des humains, les services écosystémiques et la réduction de la vulnérabilité des communautés à faible revenu. »

De leur côté les Nations Unies ont mis en place un groupe d’experts de haut niveau sur les « engagements d’émissions nettes nulles des entités non étatiques », qui a formulé des recommandations pour les villes et les régions.

Vue des Nations Unies et des Etats la question est de pouvoir mobiliser et évaluer la contribution des collectivités.

Vu des collectivités la question est de conduire le processus de changement vers une société bas carbone et résiliente au service des citoyens, c’est-à-dire un développement durable qui tienne compte des limites écologiques planétaires et locales.

Les collectivités sont directement concernées par l’intrication des questions climatiques, de la biodiversité, du sol, des ressources en eau, des ressources et des services tirés de la nature…. Ces questions, qui font système, ne peuvent pas être appréhendées dans leur complexité par les politiques et appareils statistiques nationaux et même par les documents de planification territoriale qui sont segmentés.

La puissance du numérique va permettre de dépasser ces limites et de faciliter la mise en œuvre de pratiques et de solutions nouvelles, d’apporter une compréhension permettant de nourrir une gouvernance participative locale éclairée par la science.

Prenons un exemple, celui de du zéro artificialisation des sols qui est une question cruciale considérée par trop d’élus comme une entrave administrative au développement économique.

L’identification des services apportés par les écosystèmes, les zones naturelles et agroécologiques, la compréhension de l’importance du sol vivant stockant le carbone, permettant l’infiltration des eaux et assurant des fonctions écologiques de base… feront considérer de façon positive, comme un capital social collectif, la lutte contre l’étalement urbain.

Les informations et les modèles associés vont permettre une gestion plus fine, moins administrative et plus scientifique. La réglementation considère, par exemple, les jardins privés comme artificialisés. Pour lutter contre l’étalement urbain il est proposé de construire sur ces zones, de les densifier. Or ils jouent au niveau du quartier un rôle contre la canicule, pour la biodiversité et l’infiltration des eaux. Le numérique va permettre de suivre la vie de chaque arbre, de connecter cette information avec d’autres données comme le niveau de la nappe d’eau, de modéliser les ilots de chaleur… toutes informations qui pourront être intégrées dans la décision publique et la planification.

La connexion de l’ensemble des données disponibles du territoire se fera dans ce qu’on appelle un jumeau numérique. Véritable réplique virtuelle du territoire, il permettra de comprendre son fonctionnement dans ses dimensions naturelles et économiques. Il permettra de rassembler et d’intégrer les données, de les visualiser, de les mettre à disposition des élus et des citoyens, de les modéliser en vue de simulation. Il facilitera une véritable intelligence locale. Il permettra aussi un bilan carbone complet en incluant par exemple le carbone contenu dans le sol.

Mais l’innovation dans les territoires ne se limite pas au numérique. Une grande partie des solutions identifiées par le GIEC sont locales et décentralisées comme les énergies renouvelables, l’économie circulaire et la gestion de ressources comme l’eau, les solutions fondées sur la nature, la rénovation des bâtiments… La collectivité doit mettre en place un véritable système local d’innovation permettant de mobiliser les connaissances et les coopérations des secteur publics et privés permettant d’initier, d’importer, d’adopter, de diffuser et de massifier de nouvelles solutions. Ces solutions qui répondent à des enjeux globaux sont aussi créatrices de valeur et d’emploi dans les territoires. Ces solutions ne sont pas que technologiques, elles peuvent aussi être frugales. Le numérique pouvant faciliter l’évaluation et le déploiement des solutions.

L’innovation technologique et sociale, la création et le partage de valeur sur le territoire, la connexion des transitions écologiques et numériques, passe par des systèmes nouveaux de gouvernance des territoires, de management et d’évaluation.

Les villes devraient plus utiliser les normes et participer à la normalisation.

Ces sujets font l’objet d’un chantier de normalisation internationale au sein d’un comité technique sur les villes durables (ISO TC 268) et au niveau Européen (CEN TC 465). La France participe étroitement via la commission AFNOR Villes et Territoires Durables et Intelligents, l’AFNOR assurant en outre le secrétariat des commissions ISO et CEN.

Avec 42 normes publiées et 16 en développement les normes ISO sur la ville couvrent aussi bien la gouvernance et le management des Villes (ISO37101) que les indicateurs et le numérique dans la mobilité, les infrastructures et les services.

Faute de l’usage de méthodes et d’outils opérationnels les villes se limitent à appliquer la réglementation et se focalisent sur la communication et des initiatives symboliques. Elles seront incapables de tenir des trajectoires de réduction des émissions de 55% d’ici 2030 compatibles avec l’objectif européen.

En Europe les travaux en cours portent sur des questions comme la résilience, les solutions fondées sur la nature ou le jumeau numérique des villes. La Chine a engagé au niveau de l’ISO les travaux pour une norme sur les villes ‘bas carbone’, les pays européens faisant pression pour aller plus loin et viser la neutralité carbone des villes.

La dimension stratégique économique de la normalisation ne doit pas faire oublier la dimension politique notamment éthique de l’information pour laquelle clairement les visions européennes et chinoises diffèrent

La normalisation ne concerne donc pas que les seules entreprises technologiques, de nouveaux acteurs devraient participer à ces travaux de normalisation comme les villes et leurs associations, les acteurs des territoires, la société civile et la communauté scientifique. Ce n’est pas le cas pour l’instant, la réflexion normative n’est malheureusement pas dans la culture de ces acteurs en France.