Séminaire CHARBON PROPRE : mythe ou réalité ?

Docks Café, Quai de la Réunion, Le Havre, la France

Je vous remercie d’être venus nombreux à ce séminaire sur le captage et stockage de CO2 au cœur de l’équation énergie – climat. Je remercie les intervenants couvrant de manière presque exhaustive ce secteur. Ce séminaire est organisé par la Ville Le Havre, sous l’impulsion de son Maire, Antoine Rufenacht, mes services ainsi que de nombreux partenaires. Je tiens à remercier particulièrement Antoine Tristan Mocinikar qui travaille depuis près de 3 ans à mes côtés et qui s’est impliqué avec compétence sur ces questions énergétiques et climatiques. Je les remercie ainsi que tous les organisateurs. Je suis très heureux de savoir que nous comptons des représentants venant du monde entier : Cameroun, Sénégal, Nigeria, Afrique du Sud, Pologne, République tchèque, Slovénie, Roumanie, Hongrie, Royaume-Uni, Allemagne, Belgique, Espagne, Italie et finalement Etats-Unis et Japon.

L’importance croissante des enjeux liés au développement durable dans les politiques publiques, que consacre le projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l’environnement, rend souhaitable un renforcement des actions de l’ensemble des services de l’État et leur coordination. C’est pourquoi a été institué, auprès du Premier ministre, un délégué interministériel au développement durable. Lors du dernier Comité interministériel du développement durable, du 13 novembre 2006, présidé par le Premier ministre, qui a eu pour objet l’actualisation de la Stratégie nationale de développement durable 2003-2008, ont été validés certains points ayant trait au charbon ainsi qu’au captage et stockage de CO2. J’y reviendrais.

D’abord, il faut noter que de 1998 à 2006, entre leurs plus hauts et leurs plus bas, les prix du pétrole ont été multipliés par quatre, ceux du gaz par trois et du charbon par deux. Aussi, le charbon connaît un succès accru bien supérieur à ses concurrents fossiles. Durant l’année 2005, la hausse de consommation de charbon explique à elle seule 53 % de la hausse totale de la consommation d’énergie. A l’horizon 2050, dans l’hypothèse inacceptable de ne pas agir sur le changement climatique, le charbon, qui est actuellement la deuxième énergie avec 25 % de part de marché, passerait en tête avec 34 %. Le sujet ne va pas s’estomper rapidement, puisqu’il y aurait 3,5 fois plus de réserves de charbon que de pétrole ou de gaz.

En parallèle, la demande mondiale de l’énergie croît à raison de 2% par an, et ce de manière stable sur les 35 dernières années. Nous étions 3 milliards en 1960, 6 milliards aujourd’hui et nous serons 9 milliards en 2050. Aujourd’hui près de 2 milliards d’individus n’ont pas accès à l’énergie. L’irruption de l’Asie, en particulier de la Chine et de l’Inde, qui à elles deux expliquent également environ la moitié de la hausse de consommation d’énergie, rend irréaliste un arrêt brutal de cette croissance, même si les pays industrialisés se mettent beaucoup plus drastiquement à économiser l’énergie. On envisage à l’horizon 2050, plus qu’un doublement de la demande (+ 110 %). Comme le charbon est le plus fort émetteur de CO2 à quantité d’énergie donnée, les émissions de gaz à effet de serre augmentent encore plus vite (+ 137 %).

Comme le montre le nouveau rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) regroupant près de 3000 experts, publié à Paris, le 1° février 2007, l’homme est à l’origine du réchauffement climatique avec une probabilité de 90 %. Les études sur le climat tendent à montrer que la terre, sous peine de risques trop importants ne doit pas connaître une élévation totale de température de plus de 2°C. Elle a déjà connu une première étape qui a vu l’élévation globale atteindre 0,6°C, alors que pour notre pays, cette élévation est déjà de 1°C. Nous avons donc déjà parcouru un tiers du chemin. Pour atteindre un tel objectif, il faut diminuer drastiquement les émissions, au cours du 21° siècle. Il y a plusieurs trajectoires possibles, mais elles ont en commun qu’il faut, en termes d’émissions au niveau global, atteindre un pic d’ici 2020 puis les diviser nettement d’ici 2050.

Pour continuer à se développer tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, alors qu’elles tendent naturellement à s’accroire fortement, il faut changer profondément les trajectoires de développement. Cela passe notamment par la diffusion d’innovations. Les technologies doivent être mobilisées aussi bien du côté de la demande avec par exemple, les bâtiments à énergie positive, un nouvel urbanisme, comme avec le nouveau projet de quartier durable du Havre, ou les véhicules moins émetteurs de CO2 que du côté de l’offre avec notamment le nucléaire, les énergies renouvelables, et donc le sujet que nous allons évoquer dans ce séminaire, le captage et stockage de CO2. Il concerne toutes les émissions concentrées de CO2 dans l’industrie lourde. Elles correspondent à 55 % des émissions mondiales de CO2 [[Cela se décompose en 38 % pour l’électricité et l’auto-production, 8 % pour le ciment, 7 % pour la production de pétrole et gaz et 3 % pour l’acier.]]. Cela montre l’importance capitale du sujet au niveau planétaire.

Je souhaiterais citer deux concepts émergents, qui peuvent nous aider à gérer les interfaces énergie climat. La question de la régulation du CO2 et son stockage géologique, peut s’inscrire dans le cadre de l’écologie industrielle. Par ce concept, il s’agit de reproduire par des procédés industriels des processus naturels. Actuellement nous raisonnons traitement en bout de tuyau alors qu’il faudra reconcevoir plus profondément les procédés industriels. Les énergies renouvelables, et notamment l’utilisation de la biomasse, s’inscrivent aussi dans cette perspective. Il faut raisonner plus globalement services des écosystèmes, c’est à dire la complémentarité entre les usages des services apportés par les écosystèmes. Ce concept développé dans l’évaluation des écosystèmes du millénaire a été repris dans les stratégies européenne et française. Mais ces deux approches écologie industrielle et services des écosystèmes sont encore peu développées en France.

La France a entamé un chemin ambitieux dans le domaine des changements climatiques. En se donnant comme objectif de diviser par 4 ses émissions de CO2, elle a bâti une stratégie cohérente pour développer des Nouvelles Technologies de l’Energie (NTE). Cette stratégie s’intègre dans la dynamique générale sur l’innovation. Pour ce faire, le gouvernement a créé des organes financeurs comme l’Agence de l’innovation industrielle, l’Agence Nationale de Recherche, le Fonds de Compétitivité des Entreprises. Ils sont représentés ici. Il a restructuré l’ANVAR pour fonder Oséo et a créé la dynamique de mise en place de « clusters » comme les pôles de compétitivité. Mais l’offre technologique ne suffit pas, il faut imposer la demande. En effet le captage et le stockage coûtent à ceux qui le mettent en œuvre. C’est pourquoi il faudra tôt ou tard, l’imposer, aussi bien pour les nouvelles centrales que les anciennes. Les questions de pollution locale doivent être également suivies rigoureusement. C’était déjà une des conclusions du rapport que nous avions coordonné avec beaucoup d’entre vous, en 2005 – 2006. Elles seront, en partie celles du rapport du Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui sera publié la semaine prochaine.

Lorsque l’on regarde plus particulièrement le domaine du charbon, la France, active, depuis le XI° siècle, et qui a fermé sa dernière mine à Creutzwald à Moselle, en 2004, est également concernée par cette compétitivité accrue du charbon, aussi bien en ce qui concerne l’exploitation minière que la construction de centrales électriques. Le projet le plus médiatique est celui de Lucenay-lès-Aix dans la Nièvre, mais il y en a d’autres. J’en profite pour remercier la présence du Président du Conseil général de la Nièvre qui est présent, à la tête d’une délégation. Ici, où nous sommes, les projets concernent des centrales thermiques.

L’administration devra traiter de ce sujet sous de nombreux angles : programmation pluriannuelle des investissements qui identifie en particulier le besoin de centrales thermiques, concessions, autorisation d’exploitation, environnement, quotas d’émissions. Va alors se poser la question de coupler les investissements avec la mise en place de systèmes de captage et de stockage de CO2, seul moyen connu à ce stade pour placer l’exploitation de charbon dans un sentier de durabilité. Cela n’est possible qu’à deux conditions. La première est que cela soit géologiquement possible. La seconde est qu’un cadre réglementaire existe. Tout cela s’entend dans le cadre d’une stratégie énergétique nationale globale, intégrée dans le cadre européen, c’est à dire qui maîtrise la consommation d’énergie, minimise les émissions de polluants locaux et globaux, par la mise en place d’un bouquet énergétique équilibré donnant sa place au nucléaire mais en ouvrant véritablement le jeu aux énergies renouvelables et qui maximise la production d‘énergie en France et donc qui maximise la création d‘emplois, chez nous. Dans ce cadre de durabilité, où nous devrons combattre un éventuel dumping environnemental, nous renforçons notre indépendance énergétique et nous diminuons le risque de dépendre de régimes qui ne défendent pas nos valeurs. Ce débat n’est bien entendu pas franco-français mais planétaire vue l’importance du charbon dans l’équation énergétique mondiale.

Je finirais en redonnant certaines décisions prises récemment. Les premières sont française et ont été actées lors du dernier Comité interministériel du développement durable :
– Instauration d’une taxe sur la consommation de charbon ;
– Une circulaire sera adressée aux préfets au titre des inspections des installations classées fixant le principe de préfiguration des nouvelles centrales thermiques de production d’électricité à partir d’énergie fossile pour accueillir les installations de captage de CO2 et d’une détermination d’objectifs quantifiés correspondant à la mise en place de la capture et du stockage de CO2 de rejets à l’horizon 2012-2018.
– Concernant le Plan national d’affectation des quotas d’émission (PNAQ), seront prises comme référence pour les nouvelles centrales thermiques à base d’énergie fossile, les meilleures centrales électriques utilisant des énergies fossiles
– L’application des directives Grandes installations de combustion (GIC) et IPPC à l’ensemble du parc de centrales thermiques sera finalisée en 2007.
– Confirmation du côté prioritaire de la recherche sur le captage et stockage de CO2

J’y rajoute celles prises lors du Conseil « Énergie », du 15 février 2007. Elles seront reprises lors du conseil des chefs d’Etat et de gouvernement qui a lieu cette semaine. Le Conseil souligne qu’il importe de réaliser des progrès importants en ce qui concerne le rendement de la production d’énergie à partir de combustibles fossiles. Il demande d’œuvrer au renforcement des activités de recherche et de développement et de définir le cadre technique, économique et réglementaire nécessaire pour mettre sur le marché, si possible d’ici 2020, des technologies de captage et de stockage du dioxyde de carbone respectueuses de l’environnement. Il souhaite la mise en place d’un mécanisme visant à stimuler la construction et l’exploitation, d’ici 2015, d’un certain nombre (pouvant aller jusqu’à 12) d’installations de démonstration.

La planche de travail est donc bien chargée. Nous avons deux jours pour ouvrir ce travail, et dégager des pistes d’actions dans un domaine où stratégies industrielles et régulations publiques doivent avancer en cohérence.