La relance doit être verte

 «  »TRIBUNE

Christian Brodhag Environnementaliste

Christian Brodhag, ancien délégué au développement durable, plaide, dans une tribune au « Monde », pour une politique de soutien à l’entreprenariat innovant et local, seul à même, selon lui, de répondre aux besoins d’une économie soutenable.

Publié par le Monde le 15 mai 2020 à 12h26 , Article réservé aux abonnés

La crise écologique sera plus coûteuse que celle du coronavirus. Mais cette crise se fait à bas bruit, les périls croissent à un rythme lent. Les morts du coronavirus se comptent un par un, ceux de la pollution atmosphérique ne peuvent être appréhendés que par la statistique. Le coût de l’arrêt de l’économie par le Covid-19 est très élevé, 60 milliards d’euros par mois de confinement pour la seule France. Mais le coût du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité sera le coût d’une pandémie mondiale renouvelée chaque année et pour l’éternité.

Les Nations unies estiment que la perte de productivité liée au changement climatique devrait coûter au niveau mondial 2 000 milliards de dollars (1 834 milliards d’euros) par an d’ici à 2030. Les récentes catastrophes liées au changement climatique ont déjà coûté plus de 2 000 milliards de dollars. Certains de ces dégâts sont irréversibles et iront croissant avec l’augmentation de la température moyenne. La relance doit être verte. Les objectifs de développement durable doivent être au cœur des nouvelles orientations de l’économie.

L’obstacle n’est pas tant financier qu’intellectuel. L’idéologie dominante est que l’environnement serait coûteux et donc qu’il faut taxer le marché pour le faire changer. Taxer le carbone suffirait à induire un comportement rationnel des acteurs économiques. Cette idéologie est partagée autant par l’Etat, qui y voit des ressources fiscales, que par les entreprises polluantes, qui voient dans la taxe une façon de se libérer de tout souci. Le débat se limite alors au niveau de cette taxe. Le discours tenu par certains représentants des entreprises est de remettre ces contraintes à demain afin de relancer en l’état la machine économique.

Mais le propre de l’économie est d’organiser la relation entre l’offre et la demande. Devant la nécessité impérieuse et la forte demande sociale d’un développement durable, une économie rationnelle développerait les infrastructures, les produits et services qui répondent aux enjeux. Elle mettrait en place une stratégie fondée sur l’identification des risques et des opportunités.

La variable environnement

Mais l’économie actuelle n’est pas rationnelle, elle est principalement limitée par l’ignorance. L’économiste américain Herbert Simon dirait que la rationalité des acteurs économiques est « limitée » : faute de pouvoir connaître toutes les solutions possibles – vertes, responsables et durables –, l’entrepreneur et le consommateur arrêtent leur choix sur ce qui se présente immédiatement. Ils minimisent le coût de la transaction en éliminant la variable environnement.

Lire aussi  Christian Brodhag : « Rapprocher science et démocratie pour relever le défi écologique » sur ce site

La deuxième cause de cette irrationalité est le poids de ceux qui ont à perdre au changement. Il est nécessaire de maintenir dans le sol 80 % des réserves de charbon, de pétrole et de gaz, c’est-à-dire dévaloriser massivement des actifs détenus par des entreprises et des pays. La diminution drastique des intrants toxiques dans les écosystèmes touche l’agrochimie. Les entreprises qui portent ces actifs non durables et qui refusent de reconsidérer leur modèle d’affaire se mobilisent très activement, par le lobbying, voire ciblent les activistes du changement et les entreprises qui ont intégré l’environnement dans leur modèle économique.

Lire aussi  « Aidons les perdants de la transition énergétique » sur ce site

Il faut répondre à cette double irrationalité par une intervention collective et politique, où la connaissance joue un rôle majeur et où l’entrepreneur serait au cœur du changement. Ce n’est pas l’existence d’une solution technique, d’une invention, qui fait l’innovation mais l’entrepreneur qui la met en production et la positionne par rapport aux utilisateurs. Et comme ces solutions peuvent toucher à la fois l’organisation sociale, les services, les produits et les techniques, les entrepreneurs peuvent être de tailles et de statuts variés (entreprises privées, entreprises à mission, économie sociale et solidaire, associations, collectifs de citoyens). Ils peuvent apparaître négligeables, eu égard à la crise, mais ils ont la capacité de se développer rapidement.

Investir sur l’intelligence collective

Une relance verte s’appuyant sur l’entreprenariat doit intervenir à plusieurs niveaux:

  • Déployer des politiques sectorielles comme la rénovation massive des logements, les énergies renouvelables, l’économie circulaire, les infrastructures territoriales… Des solutions zéro carbone rentables sont disponibles « sur étagère ».
  • Dynamiser l’entreprenariat responsable en valorisant les entrepreneurs déjà engagés, en formant les entrepreneurs aux outils de l’écoconception et de l’éco-innovation dans le cycle de vie et les chaînes de valeurs. Le Pôle national écoconception, dont la mission est d’accompagner les entreprises dans ce domaine, a démontré le retour économique positif pour la plupart des entreprises engagées. Mais après dix ans d’existence, il estime que 1 % seulement des PME françaises ont pu être sensibilisées, et 0,1 % seulement réellement formées.
  • Mobiliser le financement au-delà des fonds publics nationaux et européens en direction des grands groupes : il faut aussi mobiliser le réseau bancaire au niveau local, seul capable d’une irrigation au goutte-à-goutte.
  • Utiliser le levier des marchés publics, notamment ceux des collectivités locales, et tous les maîtres d’ouvrage pour mettre en œuvre les solutions disponibles.

La condition de la réussite est d’investir sur la connaissance et l’intelligence collective. La formation, les échanges d’expériences et de connaissances, l’évaluation des solutions, la maîtrise des outils méthodologiques… permettraient d’éclairer le marché, de surmonter les obstacles cognitifs et de diminuer les coûts de transaction.

Christian Brodhag est président de Construction 21 et du Pôle écoconception, ancien délégué interministériel au développement durable (2004 -2008).