Le développement durable un enjeu majeur pour les systèmes d’information.

Christian Brodhag

Président de la Commission Française du Développement Durable

Ecole des Mines de Saint-Etienne

Colloque européen : Informatique pour l’Environnement ‘1997, Strasbourg, 12 septembre 1997

1.                 Cerner le concept

1.1.            Une définition du développement durable

Bien qu’il ne soit pas le premier à avoir évoqué le terme de développement durable,  il est de tradition de citer le rapport Brundtland pour le définir : «le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs[1] Mis à part le fait que le mot durable était alors traduit par soutenable, cette définition est trop limitée pour définir réellement une stratégie qui permette de préserver les générations futures. La définition de la Commission des Communautés Européennes est plus précise «une politique et une stratégie visant à assurer la continuité dans le temps du développement économique et social, dans le respect de l’environnement, et sans compromettre les ressources naturelles indispensables à l’activité humaine[2] On peut trouver bien d’autres définitions, et bien des contradictions. Ces contradictions sont inévitables et au coeur de la problématique du développement durable, il ne faut donc pas les cacher mais au contraire construire des compromis actifs entre les artisans de l’économie, du social et ceux qui militent pour la préservation de l’environnement.

L’ambition du développement durable est très large. En effet, longtemps les politiques d’environnement sont venues réguler quelques problèmes précis à la marge du système : son environnement. Il apportait une contrainte extérieure, il appelait des traitements curatifs, en aval du système industriel par exemple.

L’ampleur des problèmes globaux a conduit à un compromis historique scellé a Rio entre l’environnement et le développement. Le développement durable est plus qu’une simple prise en compte de l’environnement dans l’économique et le social, c’est la recherche d’un mode de développement où l’intégration des sphères économique sociale et naturelle serait maximale.

Cette intégration est donc un défi à ceux qui manipulent les informations sur l’environnement. Ils sont confrontés à maîtriser des informations déjà très complexes, avec le développement durable ils doivent en plus les interfacer avec l’économique, le social et surtout les processus de décision. Dans cet article nous allons proposer une représentation la problématique, pour ne pas dire un modèle, cela nous permettra de préciser les défis, les chantiers ouverts pour les informaticiens de l’environnement.

Nous considérons trois catégories de problèmes.

1 – La première déjà citée, l’intégration des trois sphères environnement économique et sociale (Figure 1). L’environnement est à la fois vu sous l’angle de l’accès aux ressources et de l’impact des pollutions. Le rapport Brundtland avait d’ailleurs établis qu’il ne fallait pas opposer environnement et économie, et que certains problèmes d’environnement pouvaient empêcher l’accès à des ressources vitales pour les êtres humains mais aussi pour l’économie. L’environnement est la base du développement.

Figure 1 : les champs du développement durable.

2  – Seconde catégorie de problèmes, le développement ne peut être durable qu’en maîtrisant trois articulations : concilier long terme et court terme, le global et le local, et maîtriser la complexité des situations par la simplification du cadre de l’action des parties prenantes de ce développement. Pour simplifier les diagnostics et les facteurs déclenchants sont le plus souvent globaux, de long terme et complexes (effet de serre, couche d’ozone, biodiversité…) et il convient de les traduire en des stratégies concrètes simples, de court terme et locales.

3 – La dernière catégorie de problématique est celle liée au processus de décision qui peut conduire au développement durable. C’est à la fois le problème de trouver une motivation politique d’agir ici et maintenant sur des problèmes qui sont perçus ailleurs et demain, et un problème de méthode. En effet la question la plus grave que se pose les responsables politiques, quand ils sont convaincus du diagnostic, est : comment trouver la motivation politique chez les citoyens pour agir concrètement ?

En fait, pour convaincre, une stratégie de développement durable doit trouver des voies triplement gagnantes, donc consensuelles, des points de vue de l’équité sociale, de l’environnement et de l’économie (stratégie dite des 3 E). Une fois les voies consensuelles épuisées, il faudra passer au contrat qui permet des échanges entre des intérêts contradictoires, et bien entendu si c’est nécessaire il faudra intervenir par l’arbitrage politique. Mais les investissements en information et éducation, méthodes d’évaluation, structures de négociation… nécessaires dans les deux premières étapes permettront de mieux gérer par la suite les arbitrages contraignants. C’est en fait une stratégie sans regret où l’on réalise en priorité ce qui est triplement gagnant. On comprend bien l’articulation entre ces enjeux dépasse la technique, elle est d’essence politique et sociétale. On parlera de gouvernance pour qualifier ce processus de décision qui permet d’épuiser les voies de la négociation et du consensus avant de recourir à l’arbitrage politique.

Il est évident que ces processus de négociation reposent sur des échanges importants d’information à tout niveau et sous toutes les formes.

1.2.            Quelques principes

Quelques principes sont venus enrichir le contexte du développement durable et les différents textes, juridiquement contraignants ou non, qui ont été élaborés aux niveaux international et français avec au premier plan l’Agenda 21 arrêté à Rio[3]. Aussi appelé Action 21, ce volumineux document formule près de 2500 recommandations non contraignantes d’action pour le XXIème siècle. Il s’appuie bien entendu sur la déclaration de Rio. Rediscuté et amélioré dans les différentes sessions de la Commission du développement durable des Nations Unies qui se réunit annuellement et bien sûr évalué par l’Assemblée Générale des Nations-Unies en juin 1997. Dans la suite nous nous appuierons sur une analyse de la fréquence des mots de l’Agenda 21 que nous citerons en italique suivis entre [] et éventuellement du rang pour les 100 premiers[4].

Chacun de ces principes pose des problèmes d’accès ou de manipulation d’informations :

1 – Principe de précaution [18 fois] est affirmé par le 15ème principe de la déclaration de Rio, selon lequel l’absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées, visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement. L’application de ce principe repose sur une bonne circulation de l’information dans la communauté scientifique et son articulation avec le monde de la décision politique, c’est à dire avant tout des experts qui sont en position d’interface entre les scientifiques et les politiques.

2 – Principe d’action préventive et de correction, par priorité à la source : la nécessité de la prévention [67 fois] des  atteintes à l’environnement, passe par l’utilisation des meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Anticiper c’est souvent modéliser. Déterminer le coût acceptable des techniques disponibles c’est gérer des informations à l’interface entre l’environnement (efficacité environnementale) et l’économique.

3 – Principe pollueur / payeur : selon lequel les frais résultants des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur. Son application toujours à la frontière de l’économique et de l’environnement nécessite l’établissement de responsabilité et d’imputation des responsabilités et donc des coûts.  Pour cela il faut modéliser l’environnement et le comportement des acteurs économiques.

4 – Principe de participation  [164 fois, 71ème rang]  : selon lequel chaque citoyen doit participer à la décision et pour cela avoir accès aux informations relatives à l’environnement, y compris celles relatives aux substances et activités dangereuses.

5 – Principe de gestion rationnelle [238 fois, 45ème rang]  : le principe de rationalité est très présent dans l’Agenda 21[5], dans le contexte illustré par l’exemple du § 2,6 «l’expérience a montré que le développement durable supposait une volonté de mettre en oeuvre des politiques économiques et une gestion de l’économie rationnelles, de conduire les affaires publiques de façon efficace et prévisible».

6 – Principe de gestion intégrée [163 fois, 73ème rang]   : l’intégration [58 fois, 152ème rang]  de l’environnement de l’économique et du social est à la base du concept de développement durable. On y trouve par exemple au § 7,36 «adopter une approche intégrée pour doter les établissements urbains et ruraux d’une infrastructure écologiquement rationnelle, en particulier à l’intention des populations pauvres».

Tous ces principes, et singulièrement les trois derniers, se réfèrent à la nécessité de nouveaux échanges d’informations.

1.3.            Le processus de décision au coeur de l’Agenda 21

L’analyse de la fréquence des mots présents dans l’Agenda 21 nous montre (Figure 2) que le mot développement [1390 fois, 1er rang]  arrive largement en tête, deux fois plus fréquent qu’environnement [770 fois, 7ème rang]. En termes géographiques les mots international [1015 fois, 2ème rang]  et pays [998 fois, 3ème rang]  relèguent loin derrière régional [574 fois, 13ème rang]   (le mot régional pris au sens des régions de l’ONU c’est à dire regroupement de pays) et local en [420 fois, 25ème rang].

            Figure 2 : les 20 mots les plus fréquents dans l’Agenda 21

La moitié des 50 mots les plus fréquents concerne le processus de décision : la gouvernance. (Le mot ressource placés ici apparaît 139 fois sous forme de ressource humaine). Le mot information apparaît 491 fois. Le mot gouvernance n’apparaît pas dans la version française de l’Agenda 21, il s’est imposé très tardivement.

1.4.            Les indicateurs de développement durable

Relativement le mot indicateur [27 fois], et plus précisément indicateur de développement durable [8 fois], est relativement peu présent. Ce thème a largement émergé après Rio, notamment lors de la CDD4 d’avril 1996, mais il est présent dans l’Agenda 21 nous en donnerons des exemples au §4.

 «Il faudrait également examiner les concepts actuels de croissance économique et la nécessité de créer de nouveaux concepts de richesse et de prospérité permettant d’améliorer les conditions de vie en modifiant les modes de vie et qui soient moins tributaires des ressources limitées de la planète et plus en harmonie avec sa capacité de charge. Ces éléments devraient être reflétés dans l’élaboration de nouveaux systèmes de comptabilité nationale et autres indicateurs d’un développement durable.» Agenda 21 Chap. 4.11.

«Les pays pourraient élaborer des systèmes de surveillance et d’évaluation des progrès accomplis dans le sens d’un développement durable, en adoptant des indicateurs qui permettent de mesurer les changements dans les domaines économique, social et environnemental.» Agenda 21 Chap. 8.6.

«La capacité institutionnelle d’intégrer l’environnement et le développement et d’élaborer des indicateurs pertinents est insuffisante tant au niveau national qu’au niveau international.» Agenda 21 Chap. 40.13.

Avant d’évoquer l’état actuel de la réflexion sur les indicateurs, nous devons aller plus loin dans la représentation des relations entre système de décision et système d’information.

2.                 Le système d’information pour le développement durable

2.1.            La vision de l’information dans l’Agenda 21

Nous avons regroupé les mots associés à information dans l’Agenda 21, nous pouvons les regrouper en cinq grandes catégories[6]. Arrivent en tête les précisions liées à la filière : production, collecte, exploitation, diffusion et accès. Il est plus souvent questions de collecte de l’information que de sa production. Le second contexte est lié à la décision : on note ici la référence à la transparence et la garantie de l’accès à l’information pour le public. Ensuite sur les contenus les expériences (échanges d’expériences) les technologies, on retrouve ici la référence à la rationalité scientifique et de l’éducation notée au-dessus. Enfin les références techniques sont assez rares, les systèmes d’information géographiques (SIG) sont rarement cités (11 fois).

Figure 3 : 25 concepts associés au mot information dans l’Agenda 21

Cette analyse à plat de l’Agenda 21 permet de dégager une certaine vision, celle de ses rédacteurs (multiples), mais ne suffit pas pour créer une théorie de l’information pour le développement durable. Le chapitre 40, le dernier est consacré à l’information pour la prise de décisions. Il est plus consacré aux méthodes et outils que le reste du texte, il insiste dans son préambule sur l’aspect diffus de l’information, et ce qui corrobore l’importance de la collecte de l’information plus que sa production. « Dans le cadre du développement durable, chacun est un utilisateur et un fournisseur d’informations, au sens large. Il faut entendre par là des données, des renseignements, des expériences présentées de façon appropriée et des connaissances. Le besoin d’informations se fait sentir à tous les niveaux, du niveau national et international chez les principaux décideurs au niveau local et à celui de l’individu. Pour veiller à ce que les décisions soient de plus en plus fondées sur des informations correctes, il y a lieu d’appliquer les deux éléments ci-après du programme : a) Elimination du fossé qui existe en matière d’information; b) Amélioration de l’accès à l’information.»§ 40.1. L’intégration et la prise en compte simultanée des échelles de l’individu au niveau mondial sont des défis importants pour ceux qui ont une conception centralisée et fermée de l’information. La Figure 4 reprend les éléments des § 40.2 et 40.3 de l’Agenda 21 portant sur l’information en reprenant la représentation des champs du développement durable de la Figure 1.

Figure 4 : l’information et le développement durable d’après l’Agenda 21[7]

2.2.            Les pièges de la rationalité

La référence continuelle à la rationalité et à la transparence de l’Agenda 21 peut cacher un positivisme dangereux et trompeur. «Cette référence permanente à la rationalité est certainement incontournable d’un point de vue instrumental pour imaginer des outils au service du développement durable, mais il ne faut pas oublier que la rationalité est un concept ambigu qui renvoie implicitement, dans une vision occidentale, aux notions d’efficacité, de rendement, de coût d’opportunité… Or cette rationalité n’a pas de sens en soi, la rationalité dans l’absolu n’existe pas. Il faut toujours définir par rapport à quoi et pour atteindre quel but on prétend la mobiliser»5

J’ai eu l’occasion de le dénoncer ailleurs [8] : scientisme, économisme, démocratie formelle et naturalisme qui sont autant de dangers qui nous empêcherait de trouver les voies d’un développement équitable et raisonnable. Comme le note Serge Latouche «l’opposition du raisonnable et du rationnel n’est pas étrangère à la frontière fragile qui sépare la démocratie du totalitarisme. »[9]

Figure 5 : ruptures épistémologiques

Les champs du développement durable (Figure 1) ont chacun une cohérence interne décrite par des champs scientifiques ou des modèles cohérents. Des méthodes ont été développées pour relier ces champs. L’internalisation va permettre de faire rentrer la logique du marché dans la gestion de l’environnement, mais au prix de quelles simplifications. Les outils économiques sont très puissants et permettent d’orienter les comportements vers des objectifs souhaitables, mais ils ne peuvent fonder ces choix de ces objectifs souhaitables. Il y a là une véritable rupture épistémologique. La modélisation, ou le traitement des informations, ne doit pas cacher cette frontière, c’est là que se font les choix politiques. L’outil économique n’est valide que dans un cadre ou l’information et parfaite, le consommateur rationnel. Est-ce le cas dans le monde réel ?

Pour illustrer l’écart entre la théorie et la pratique dans le monde réel, on peut donner l’exemple de la maîtrise des intrants pesticides et fertilisants en agriculture. La Banque Mondiale explique dans une approche économiste marginaliste « le fermier utilise l’intrant jusqu’à ce que son revenu marginal, obtenu par l’usage de cette unité additionnelle, soit égal au coût de cet intrant »[10]. Ce raisonnement fonde la proposition de taxer les intrants pour diminuer leur usage. Il est certain qu’une telle augmentation aura des effets, mais l’agriculteur est bien loin d’être cet être économique rationnel de la théorie économique. Est-il correctement informé sur ce qu’il devrait faire. Une étude poussée[11], intégrant des modélisations socio-économiques et environnementales menée à la Côte Saint-André (38), démontre qu’au-delà de 180 unités d’azote à l’ha on n’observe plus de gain de rendement. Des scénarii socio-économiques démontrent la faisabilité de la diminution des intrants. Cette information est plus à même de convaincre les agriculteurs, que la seule information le prix du fertilisant (taxé ou non).

Internalisation, actualisation, agrégation … font manipuler des données hétérogènes. Elles cachent derrière une rationalité apparente des arbitrages politiques[12]. Il doit y avoir une éthique de l’information et de son usage dans l’aide à la décision. Il n’y a pas d’indicateur environnement global absolu indépendant du local (pays, systèmes économiques ou culturels…). Il n’y a pas de passage continu et trivial du local au global, et réciproquement, la devise penser globalement et agir localement n’est pas évidente. Il n’y a pas de rationalité permettant de passer directement d’indices physiques à des données économiques ou des décisions politiques.

Les systèmes d’information nécessaires pour le développement durable doivent permettre de situer le cadre de la prise de décision, d’éclairer le décideur et non prendre la décision.

Mais déjà des citoyens demandent des comptes. On peut citer la polémique de cet été, la  contestation par les indiens Menominee du modèle d’écoulement des eaux souterraines et des données utilisées par Exxon pour l’évaluation des impacts de la mine de Wolf River, WI USA[13]. Vos modèles seront scrutés par les citoyens, ou plutôt leurs représentants.

2.3.            Un méta système pour décrire la décision

Que ce soit sous l’angle du système qui est susceptible d’être piloté le système socio-économico- environnemental mondial à court et long terme (on ne sait pas faire plus global), que sous celui du système de décision de l’international au local, en passant par la participation des citoyens et de leurs différents représentants, le système est complexe.

Nous adoptons la présentation sous forme de méta-système (Figure 6) qui fait la distinction entre un niveau méta où l’on décide des règles du jeu, et un niveau opératoire où on joue le jeu[14]. Cette représentation permet à van Gigch, de préciser quatre niveaux de rationalité :

Figure 6 : système et méta-système d’après van Gigch14

  • La rationalité structurale guide l’établissement de la structure de la prise de décision organisationnelle : Qui décide ? Quels sont les problèmes susceptibles d’être posés ? Que décide-t-on quand et comment ?
  • La rationalité évaluative se réfère aux objectifs visés par le décideur et aux critères d’évaluation des résultats.
  • La rationalité substantive relève de la «substance» ou de la «connaissance» qui guident les résultats d’actions dans l’univers du «discours».
  • La rationalité procédurale guide le choix des procédures et des prises de décision.

Cette approche qui se développe au niveau du management des entreprises[15], est très utile quand on se réfère au développement durable.

Figure 7 : système de décision international pour le développement durable

La Figure 7 représente les institutions internationales, l’ONU, les Etats et le système local. A chaque niveau des règles sont édictées. Au niveau de l’ONU ce sont les conventions ratifiées par les états, au niveau des états des lois et des politiques budgétaires votées par les parlements et mises en oeuvre par les exécutifs, et les pouvoirs locaux prennent leurs décisions. Les logiques sont celles du contrôle et de la commande.

A côté de cela, se mettent en place d’autres processus de décision, des acteurs de la société jouent de nouveaux rôles. L’Agenda 21 recommande l’adoption de mesures visant à renforcer le rôle des grands groupes appelés à prendre part à l’action pour le développement durable : femmes, enfants et jeunes, populations autochtones, organisations non gouvernementales (ONG), collectivités locales, syndicats, commerce et industrie, communauté scientifique, agriculteurs. Différentes structures doivent permettre à ces acteurs de s’exprimer d’évaluer les processus de décision, il y a là une régulation nouvelle dans le niveau méta. Ces acteurs sont sur le terrain consultés sur les décisions individuelles, au niveau international, leurs organisations sont consultées dans les processus de décision à l’ONU, comme aux niveaux national et local. Des structures se mettent en place où se rencontrent les différents acteurs dans une situation d’élaboration de consensus, au niveau national c’est par exemple la Commission Française du Développement Durable.

Cette commission indépendante agit dans le cadre de l’Agenda 21, qui propose de créer des structures de coordination nationale pour l’application des textes signés à Rio de Janeiro le 14 juin 1996 « mettant à profit (…) les compétences spécialisées des organisations non gouvernementales« [16]. La composition de la commission est en accord avec cette vocation de carrefour entre les acteurs du développement durable identifiés par l’Agenda 21 : des représentants des milieux économiques, des élus, des responsables d’associations d’environnement ou de solidarité internationale et d’experts ainsi que du Commissaire au Plan, de l’Ambassadeur de France auprès de la Commission de développement durable de l’ONU et le Président de la Mission interministérielle sur l’effet de serre. Ces organisations sont dans une réflexion méta. Il n’est pas question d’exécuter des politiques ou d’en être des opérateurs, mais de réfléchir aux méthodes, au jeu d’acteur, aux objectifs, aux systèmes d’évaluation…

Il y a donc une complémentarité entre l’action politique des institutions démocratiques et l’action de la société civile ainsi organisée.

On retrouve cette complexité dans les textes votés à Rio[17] en juin 1992[18] avec trois types de textes :

  • des textes contraignants : la Convention sur les changements climatiques[19] et la Convention sur la diversité biologique[20]
  • des textes de principes : la Déclaration de Rio énonçant des principes généraux, pollueur payeur, prévention, précaution…[21], les principes concernant les forêts[22], sur la désertification et sur la Commission mondiale pour le Développement Durable. Ces textes ne sont pas directement contraignants mais doivent inspirer les lois des pays.
  • des propositions, non juridiquement contraignantes : l’Agenda 21 l’agenda pour le XXIème siècle (ou Action 21) que nous avons analysé en profondeur au-dessus [23].

Les premiers textes s’adressent aux états les autres à l’ensemble des acteurs économiques, sociaux et environnementaux. Dans un premier cas l’information nécessaire est organisée formalisée, celle d’organisations hiérarchiques, dans le second diffuse et issue de sources variées et avec des cibles variées elles aussi.

Internet arrive à point nommé pour faciliter la mise en place de ces flux, de ce bain d’informations. Comme elle n’est pas hiérarchisée, l’organisation de l’information n’est pas toujours évaluée, elle se met en place sans qu’on en soit réellement conscient. Et cela ouvre des discussions sur la légitimité d’une infocratie peuplée seulement d’internautes.

On peut donner l’exemple la Banque Mondiale qui livre sur Internet des textes en discussion à qui veut bien réagir avant toute validation politique de ses administrateurs. Cet organisme pourra faire valoir une certaine légitimé ensuite de ces textes. Mais qui réagit ? Quelle légitimité a un internaute par rapport à l’homme de la rue ou un état investit d’une légitimité démocratique ? Le Tableau 1 énonce dans différents domaines les différences entre l’exercice traditionnel du pouvoir, et ce que j’appelle nouvelle gouvernance.

 pouvoir traditionnelnouvelle gouvernance
processus de décisioncontrôle, commandeconsensus, contrat
texteslois, règlementstextes non contraignants, références collectives Agenda 21 local
acteursgouvernements, parlements exécutifscommissions et forum du développement durable, grands groupes
informationinformation centralisée, secretinformation diffuse, partage de l’information
informatiquesécurité, normalisation, grands systèmes, modélisation lourdeinterfaces, réseaux d’échanges, forum, éducation sensibilisation…

Tableau 1 : dualité des processus de décision

3.                 Des outils politiques pour le développement durable

3.1.            Les outils des politiques environnementales

Bien que le développement durable s’intéresse au développement social humain culturel, au développement économique autant que d’environnement, l’évolution de la régulation environnementale est aussi un moteur pour la mise en place de ces outils. Nous en faisons la synthèse en Figure 8 en l’axant principalement sur le problème de l’industrie. La première approche de l’environnement a été la réglementation. Dans le domaine industriel, c’est le contrôle des installations classées qui exerce une contrainte sur l’entreprise pour qu’elle respecte un standard minimum en matière d’environnement. La  seconde approche s’intéresse plus aux flux, est le domaine des outils économiques. Deux autres outils viennent d’apparaître ils se rattachent à cette nouvelle approche multipartenariale. Ce que nous avons appelé ici le contrat s’appuie sur une information complexe lié aux échanges, comme les labels de produits. Et la quatrième approche s’intéresse au fonctionnement des entreprises et au comportement des acteurs. Il est certains que ces deux derniers stades se rattachent à cette nouvelle gouvernance évoquée au Tableau 1.

Figure 8 : les stades de la politique de l’environnement

Mais ces différentes politiques ne s’intéressent pas aux mêmes acteurs : les uns n’avancent que sous la contrainte, d’autres en général les entreprises les plus performantes font de la performance environnementale une composante de leur performance globale, ils ont une démarche intégrée. Se pose donc le problème de l’évaluation de cette performance environnementale, pour que les pouvoirs publics puissent faire la différence et adoptent à l’égard de ces différents acteurs des approches différentiées : contrainte ou contrat.

Figure 9 : les cibles des outils politiques

Cette logique de la performance environnementale qui est dans un premier temps un facteur de différentiation sur le marché se situe dans un cadre réglementaire nouveau. Traditionnellement en effet les politiques d’environnement consistaient à définir une norme minimale et à considérer comme pollueur condamnable ceux dont les rejets étaient supérieurs à la norme (population a sur la Figure 9). Puis les politiques économiques comme les redevances de l’eau ont fait porter la charge sur l’ensemble de la population. Aujourd’hui la population c la plus innovante est aidée par l’accès à des labels produits (NF environnement) ou de management environnemental (SMEA européen ou ISO 14000). Mais qu’est ce qui peut pousser une entreprise à s’engager dans une telle démarche ?

Il semble que l’efficacité environnementale va dans le même sens que l’efficacité économique. En effet selon une étude[24] portant sur les 500 plus grandes entreprises américaines classées selon leur performance environnementale (plus faible nombre de condamnations et de délits), les 250 les moins polluantes auraient, par rapport aux plus polluantes, un retour sur investissement de 40% supérieur. L’auteur considère qu’elles seraient à la fois meilleures en management et en mobilisation du personnel, et qu’elles disposeraient des technologies les plus modernes, l’environnement et l’efficacité économique en seraient donc les conséquences communes. D’autres pensent qu’une mobilisation collective du personnel sur l’environnement aurait des conséquences positives sur le climat social et donc la productivité. Le développement durable dans l’entreprise c’est cette globalité de l’enjeu.

Il est vraisemblable qu’aujourd’hui ces entreprises performantes de la catégorie c ont une stratégie de différentiation qualitative par rapport à leur marché. Mais la sanction positive (ISO 14001 ou SMEA) sera sans doute demain la condition de l’accès au marché.

Cette évaluation de la performance environnementale qui fera l’objet prochainement d’une norme ISO 14031 pose des problèmes de l’organisation du système d’information dans l’entreprise et sa communication aux parties intéressées, de la définition de référentiels par professions[25]. On n’évaluera pas seulement les résultats mais aussi le management et l’organisation de la décision dans l’entreprise. Il est très difficile de qualifier l’information dans le niveau méta.

3.2.            Les outils propres à l’agenda 21

C’est dans ce contexte que les différents textes internationaux proposent des outils nouveaux pour le développement durable :

  • L’Agenda 21 propose la mise en place d’Agenda 21 locaux qui permettent à l’ensemble des acteurs locaux et des citoyens de préciser leurs objectifs dans des chartes discutées avec tous ceux qui sont concernés. Ils doivent être mis en place à des échelles cohérentes par rapport aux problématiques en cause : agglomérations, bassin de vie (pays), bassin hydrographique, massif, Parc Naturel Régional…
  • Comme le PNB ne peut représenter les évolutions vers la durabilité, la mise au point d’indicateurs du développement durable permet de formaliser et de quantifier les objectifs des Agenda 21, et permet à chacun de mesurer et sa progression par rapport à ses objectifs. Ces indicateurs doivent intégrer les quatre dimensions : sociale, économique, environnementale et gouvernance.
  • Des enceintes de discussion comme des commissions ou cercles du développement durable permettent à chaque niveau de gérer les Agenda 21 et les indicateurs. Elles doivent impliquer les collectivités locales, acteurs économiques, associations d’environnement, de solidarité…

Enfin l’identification des bonnes pratiques et des bonnes techniques devra permettre leur transfert et de leur diffusion. Il est nécessaire de mise en réseau des expériences similaires.

4.                 Les indicateurs de développement durable

Pour finir nous évoquerons les indicateurs. La Figure 10 développe le cas de l’information dans l’entreprise et sa communication à l’extérieur, on peut adopter la même représentation sur la gestion des collectivités publiques, des grands projets… Comme nous l’avons évoqué au-dessus les processus d’agrégation et de pondération cachent des arbitrages de valeurs et donc politiques. Il faut que ce processus soit transparent.

Figure 10 : hiérarchie et cible des informations environnementales

voletindicateur de force motrice (pression)indicateurs d’étatindicateurs de réponsetotal
social1616739
économique911322
environnement22181555
institutions 31215
total474837132

Tableau 2 : les catégories d’indicateurs de développement durable proposé par l’ONU

Dans sa quatrième session la CDD de l’ONU a lancé un programme sur les indicateurs. Une proposition de 162 indicateurs est proposée et soumise à la discussion internationale. L’objectif est de disposer d’un corps d’indicateurs internationaux pour le développement durable en l’an 2000. Sous la houlette de l’IFEN la France expérimente la mise en place de ces indicateurs en coopération avec la Tunisie. L’une des difficultés est la difficulté d’avoir le même corps d’indicateurs pour les pays du nord au du sud. Seconde difficulté méthodologique la grande difficulté d’évaluer les procédures, et les informations pour la prise de décision c’est à dire le niveau méta. A titre d’exemple pour illustrer le chapitre 40 information pour la prise de décision l’ONU propose le nombre de téléphone pour 100 habitants. Il y a donc là place pour un travail théorique et méthodologique difficile.

La communauté européenne a repris 40 indicateurs dans les 132 de la liste de l’ONU en éliminant ceux qu’elle jugeait peu adaptés à la situation européenne : 9 économiques, 14 sociaux, 21 environnementaux et 2 pour les institutions (dépenses de R&D en % du PIB, nombre de lignes téléphoniques par 100 habitants). Le Tableau 3 reprend la liste des indicateurs environnementaux.

Projet d’indicateurs de développement durable de la Communauté Européenne[26] liste des indicateurs environnementaux
1)  cons. de substances altérant couche ozone12) utilisation d’engrais
2)  émissions de gaz à effet de serre13) utilisation de pesticides agricoles
3)  émissions d’oxydes de soufre14) déchets solides industriels ou municipaux
4)  émissions d’oxydes d’azote16) taux de recyclage et utilisation des déchets
5)  dépenses pour diminution pollution atm.15) dépenses pour le traitement des déchets
6)  consommation d’eau17) évolution de la surface forestière
7)  traitement des eaux polluées18) intensité d’exploitation forestière
8)  prélèvement eaux souterraines et surface19) part des forêts entretenues
9)  terres arables / habitant20) espèces menacées en % des natives
10)       changement d’utilisation des sols21) superficies protégées en % du total
11)       utilisation d’énergie pour l’agriculture 

Tableau 3 : les indicateurs environnementaux proposés par la Communauté

5.                 Conclusion

Par la nécessité d’emboîter des logiques du local au global, de la maîtrise de  la complexité dans un système institutionnel multiacteur le développement durable est un réel défi aux systèmes d’information. Il y a une forte demande qui n’est pas totalement formalisée, il est donc nécessaire que la communauté des informaticiens puisse proposer des outils nouveaux et développer une offre cohérente. Bien que le développement durable dépasse la seule problématique environnement, la communauté des informaticiens de l’environnement présente ici à Strasbourg a un rôle majeur à jouer.

Figures :

Figure 1 : les champs du développement durable.

Figure 2 : les 20 mots les plus fréquents dans l’Agenda 21

Figure 3 : 25 concepts associés au mot information dans l’Agenda 21

Figure 4 : l’information et le développement durable d’après l’Agenda 21

Figure 5 : ruptures épistémologiques

Figure 6 : système et méta système d’après van Gigch 13

Figure 7 : système de décision international pour le développement durable

Figure 8 : les stades de la politique de l’environnement

Figure 9 : les cibles des outils politiques

Figure 10 : hiérarchie et cible des informations environnementales

Tableaux :

Tableau 1 : dualité des processus de décision

Tableau 2 : les catégories d’indicateurs de développement durable proposé par l’ONU

Tableau 3 : les indicateurs environnementaux proposés par la Communauté


[1]   Notre Avenir à Tous, rapport de la commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement (commission Brundtland), Les Editions du Fleuve, p 51

[2]   Commission des Communautés Européennes, Vers un développement soutenable, COM(92) 23 vol II, 30 mars 1992

[3]   Déclaration de Rio : juin 1992, Acte unique 1987, traité de Maastricht, loi Barnier sur la protection de l’environnement : 2 février 1995. A titre indicatif nous avons cité la fréquence de certains mots dans l’Agenda 21, on pourra se reporter à l’étude statistique développée au §1.3.

[4]   Les mots ont été ramenés à leur racine (infinitif ou masculin singulier) et les mots sans signification directe ont été éliminés de cette comptabilité. Biens que non comptabilisés, il n’est peut-être pas indifférent que le verbe être apparaisse 1697 fois largement devant le mot développement qui est suivi directement par les verbes avoir 1357 et devoir 1166 qui est la plupart du temps au conditionnel : devrait.

[5]   Les aspects juridiques de l’Agenda 21 : la mise en œuvre juridique de la conférence de Rio, collectif, sous la direction de Stéphane DOUMBE-BILLE, Université de Limoges, décembre 1995

[6]   Une étude plus fine des différents contextes du mot information est en cours

[7]   Chapitre 40 : l’information pour la prise de décisions, § 40.2 et 40.3

[8]   Les quatre vérités de la planète, Christian Brodhag, Editions du Félin, Paris 1994

[9]   Le raisonnable et le rationnel. Les antinomies du postulat métaphysique de la raison économique, Serge Latouche, la Revue du MAUSS, n°4, 1994 a

[10] Expanding the measure of wealth, Indicators of environmentally Sustainable Development, World Bank Environment Department, Rio + 5 edition, draft for discussion, Washington 1997

[11] Le site atelier de la Cote Saint-André : agriculture et ressources en eau, Georges Vachaud, Amédée Molard, Lettre du PIREVS, CNRS, n°16 juin 1997

[12]  Internalisation et indicateurs du développement durable : un nouveau paradigme, Christian Brodhag, colloque Ecologie Société Economie, Saint-Quentin en Yvelines, 23 au 25 mai 1995

[13] http://www.menominee.com/nomining/dnr815a.html, polémique relayée par Infoterra, liste de diffusion du PNUE

[14] System design modeling and metamodelling, John P. van Gigch, Plenum Press 1991

[15] Quels modèle pour une firme sans frontière ?, Patrick Burlat, Sophie Peillon, Lucien Vincent, Albi, 3-5 septembre, 2ème colloque international franco québécois : le génie industriel dans un monde sans frontière.

[16]  Agenda 21, chapitre 38.40

[17] Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement (CNUED), appelée aussi Sommet de la Planète Terre, voir Elément de Bilans, rapport de la CFDD 1996 pp 10-16, ou le serveur Internet des Nations-Unies gopher://gopher.un.org:70/11/conf/unced/French

[18] Action 21, Déclaration de Rio sur l’Environnement et le Développement, Conférence des Nations Unies sur l’Environnement et le Développement, (CNUED), Nations Unies, New York, 1993

[19] sur Internet : http://www.unfccc.de

[20] sur Internet : http://www.unep.ch/biodiv.html

[21] sur Internet : gopher://gopher.un.org:70/00/conf/unced/French/riodecl.txt

[22] sur Internet : gopher://gopher.un.org:70/00/conf/unced/French/forestp.txt

[23] sur Internet : gopher://gopher.un.org:70/11/conf/unced/French

[24] Scott Fenn, Investor Responsibility Research Center, Globe 94,Vancouver, 21-25 mars 1994

[25] Marion Personne, Christian Brodhag, l’évaluation de la performance environnementale des PME, Albi, 3-5 septembre, 2ème colloque international franco québécois : le génie industriel dans un monde sans frontière.

[26] Indicateurs de développement durable, une étude pilote selon la méthodologie de la Commission du développement durable des Nations-Unies, CE 1997