Information environnementale pour une prise de décision saine en matière de développement durable

La limite de la capacité de charge de la planète, régulièrement rappelée dans les textes internationaux, est en général ignorée par les décisions politiques tant au niveau global que local. Une enquête menée par l’ICLEI auprès de 560 communautés locales des cinq continents mettant en place des Agendas 21 locaux [[Local governments’ response to Agenda 21 : summary report of local Agenda 21 survey with regional focus, may 2002, http://www.iclei.org/johannesburg2002/final_document.html]], identifie neufs principes primordiaux et formels mobilisés dans ce processus. Les principes de participation, transparence, partenariat et le souci du futur sont, par exemple, cités dans plus de 60% des cas, alors que le principe de respect des limites écologiques arrive bon dernier, il est cité seulement entre 20 et 30% des cas (Amérique Nord 20% et l’Amérique latine 33%). Les principes sur les bonnes procédures (de management ou de gouvernance) viennent donc avant les objectifs concrets (substantifs). Cette question est ancienne, en politique il est plus aisé de parler d’obligation de moyens que de résultats, or en matière de limites écologiques, qu’elles soient locales ou globales (comme l’effet de serre), il s’agit de garantir des résultats. C’est pourquoi l’information et l’évaluation environnementale sont des composantes essentielles de toute décision invoquant le développement durable.
Le dispositif de reconnaissance des Agendas 21 locaux, qui est envisagé au titre de la Stratégie nationale de développement durable (SNDD), s’appuie sur le double niveau : des processus (les critères fondamentaux) et des finalités concrètes.

les critères fondamentaux de reconnaissance

les cinq finalités du développement durable

1. la participation
2. la stratégie d’amélioration
3. la transversalité
4. l’organisation du processus décisionnel
5. l’évaluation
1. épanouissement humain et accès pour tous à une bonne qualité de vie
2. lutte contre le changement climatique et protection de l’atmosphère
3. préservation de la biodiversité, protection des milieux et des ressources
4. cohésion sociale et solidarité entre territoires et entre générations
5. emploi et dynamique de développement suivant des modes de production et de consommation responsables

Tableau : démarches de développement durable des territoires :
critères du dispositif de reconnaissance des Agendas 21 locaux

Parmi ces finalités essentielles, le champ de l’environnement est présent à la fois à travers les préoccupations concernant le cadre et les conditions de vie des hommes et des sociétés, et dans les objectifs plus globaux comme la lutte contre les changements climatiques et la gestion des milieux et de la biodiversité. Dans le premier cas les effets des politiques sont immédiats et directs sur les populations, qui sont le plus souvent à la fois acteurs, victimes des pollutions, et bénéficiaires des efforts menés. Pour le second, les conséquences sont plus indirectes et certains des efforts que le développement durable demande aux populations ne se traduisent pas forcément, pour elles, par des bénéfices immédiatement visibles. Ainsi la réduction des émissions de gaz à effet de serre fait appel à une éthique de la responsabilité, plus qu’à un intérêt immédiat.
Parmi ces finalités, cette lutte contre l’effet de serre est sans doute une problématique nouvelle pour les collectivités locales, et les systèmes d’informations et d’évaluation qu’elles utilisent.

L’effet de serre
Le Plan Climat 2004 incite les collectivités locales à prendre en compte la problématique effet de serre, par le biais des Agendas 21 locaux, et plus sectoriellement grâce à des Plans climats territoriaux, éventuellement intégrés à ces Agendas 21, qui assureront la définition et la mise en œuvre d’objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau d’une région, d’un département, d’une commune ou d’une intercommunalité. Dans le cadre de la rénovation de la comptabilité communale il est notamment envisagé d’ajouter un indicateur « énergie » aux dix ratios budgétaires standardisés. Les dispositifs existant seront étendus, comme les contrats ATEnEE : Actions territoriales pour l’environnement et l’efficacité énergétique. Animés par l’Ademe ils visent à favoriser la prise en compte de l’environnement et de l’efficacité énergétique dans les territoires de projet des Contrats de Plan Etat-Région (pays, agglomérations, parcs naturels régionaux).
Mais ces politiques doivent reposer sur des informations fiables, des données d’émission standardisées. Or il existe encore peu de systèmes d’information et d’évaluation en matière d’effet de serre au niveau des collectivités. L’objectif des mesures préconisées par le Plan climat est de mettre à disposition des acteurs locaux et des organismes publics les données et méthodes leur permettant de calculer leurs émissions de gaz à effet de serre, d’en assurer le suivi et d’en garantir la continuité au travers d’indicateurs pérennes.
Il est envisagé de mobiliser les observatoires régionaux existants, notamment sur l’énergie, ou toute structure appropriée, pour porter des missions d’observation. L’objectif est que l’ensemble des régions engage la réalisation d’un outil de recensement fiable des émissions de gaz à effet de serre d’ici à la fin 2006, pour notamment préparer l’entrée dans le marché de quotas en 2008 au titre du Protocole de Kyoto.

Nouvelles informations pour le développement durable

L’information et l’évaluation doivent donc être considérées selon la double logique de leur intégration dans le processus de décision, et du champ qu’elles couvrent, autrement dit, selon la double logique de la méthode et du contenu.
L’information doit être mise en forme de manière à pouvoir être réellement intégrée dans la prise de décision, ce qui pose des problèmes de hiérarchisation des enjeux et de mise en place de processus de gouvernance et de management. Le dispositif de reconnaissance des Agendas 21 locaux impliquera la mise en place d’un processus d’évaluation prévu le plus en amont possible dans l’élaboration de l’Agenda 21. Des moyens, des outils doivent y être affectés, les acteurs et les habitants appelés à y participer.
La diversité des détenteurs de données s’accorde en effet mieux d’un processus de partage de l’information que de la concentration de l’information. Si certaines données doivent être réservées aux experts [[D. Graillot, E. Piatyszek, C. Brodhag, Principes et méthodes. Rôle de l’observatoire de l’environnement dans les démarches de développement durable, Rencontres nationales 2002/03 des Observatoires de l’environnement, Bordeaux, 20 et 21 janvier 2003, Cahiers de l’Idea, Information sur le Développement Environnemental en Aquitaine, http://www.idea-reseau.org/cahiersidea.htm, version longue http://www.agora21.org/articles/site03a.html]]
, d’autres, essentielles, doivent être rendues largement accessibles, et considérées comme un bien public.
Une certaine normalisation de l’information, notamment des indicateurs de développement durable, s’avère par ailleurs nécessaire pour comparer les situations. Un premier jeu de 45 indicateurs de développement durable a été proposé pour la France. Il convient de les discuter, d’identifier les enjeux stratégiques, et surtout de les décliner au niveau territorial.
Or la construction d’indicateurs bute sur la collecte des informations de base. A problème nouveau, information nouvelle, pourtant on cherche en général à recycler les systèmes d’informations éprouvés (et amortis) sous le prétexte que l’on doit disposer de séries longues.
Les notions d’écologie industrielle, ou d’écologie urbaine revisitée, rendent par exemple nécessaire de suivre le « métabolisme urbain », de calculer l’empreinte écologique, d’effectuer des bilans carbone (au niveau des cadastres ou des entreprises par exemple), et imposent la collecte de nouvelles informations. De nouvelles données sociales ou de comportement des ménages devraient aussi être acquises. L’étude comptable des politiques environnementales des collectivités devient un outil de pilotage de la collectivité locale.
L’acquisition de ces données ne peut seulement reposer sur l’Etat mais doit engager un ensemble d’acteurs privés et publics. Cette information à partager nécessite une normalisation, des processus d’échange d’information (protocole permettant l’interopérabilité de systèmes, mais aussi problèmes politiques autour de la propriété des données…)…
Le travail mené dans le cadre du réseau Respect est essentiel pour contribuer à cette construction.

Philippe Roqueplo propose de compléter la démo-cratie (cratie signifiant pouvoir) par une « démo-logie » (logos signifiant raison et parole) dans laquelle l’information et le partage des connaissances est essentiel [[Philippe Roqueplo, Emballement techniciste et hémorragie du sens, « Ruptures créatrices » collectif sous la direction de Patrick Lagadec, Paris, ed. les Echos, 2000, pp.565-596]]. On pourrait parler de gouvernance éclairée, pour évoquer l’importance de l’information donnée aux acteurs dans le processus de décision collectif qualifié de gouvernance. Mais les systèmes d’information et de connaissance doivent être largement orientés par l’usage qui doit en être fait dans la décision, plutôt que de chercher une exhaustivité.

Source : http://www.ecologie.gouv.fr/article.php3?id_article=3817