La guerre contre le COVID-19 ? Relisons Georges Orwell

Un battage médiatique, relayé par les médias sociaux, a popularisé une lettre adressée par Annie Ernaux au président de la république en paraphrasant Boris Vian. Ce chef d’œuvre de novlangue est d’une grande malhonnêteté intellectuelle. Titrer « sachez Monsieur le Président que nous nous laisserons plus voler notre vie » est digne des slogans novlangue inventés par Georges Orwell dans son ouvrage 1984 « La guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage, l’ignorance c’est la force ».

Plus malhonnête est d’endosser le costume, trop large pour elle, de Boris Vian pour mobiliser l’engagement anticolonial de ce grand écrivain. Boris Vian écrit le déserteur en 1954 au président de la République René Coty dans le contexte des guerres coloniales. La France vivait la fin de la guerre d’Indochine et s’engageait dans celle de l’Algérie. Si l’on doit analyser le discours du président Macron ce n’est pas le contexte des guerres coloniales qu’il faut mobiliser, c’est le contexte de la seconde guerre mondiale qu’il faut invoquer.

Dans une crise de l’ampleur actuelle il est nécessaire de trouver des ressorts exceptionnels dans la société. L’une des périodes où l’on doit préserver l’essentiel de nos biens collectifs, c’est la guerre. Il faut une mobilisation générale. Il s’agit bien entendu de préserver les vies individuelles, mais aussi la société, c’est-à-dire notre système démocratique. Il n’y a pas à choisir. Rappelons la phrase de septembre 1936 attribuée à Winston Churchill en réaction aux tristes accords de Munich signés par Neville Chamberlain et Édouard Daladier cédant les Sudètes à Adolf Hitler : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez le déshonneur et vous aurez la guerre. ».

Le refus de la guerre a été l’accommodement de la collaboration. L’ennemi était à la fois les armées nazies et la peste brune du fascisme. Le régime de Vichy voyait aussi dans la collaboration un levier pour la promotion de leur idéologie.

La gestion politique de la crise du COVID-19 doit tenir compte de trois questions en évolution, celle de la progression de l’épidémie elle-même, celle de l’évolution des connaissances scientifiques, et celle du temps nécessaire pour mobiliser des solutions. C’est à dire l’ennemi, l’intelligence et l’intendance. Le débat doit être « chronopolitique » et intégrer la problématique cognitive de l’action en contexte incertain.

Or nous n’avons pas besoin, de Winston Smith du roman 1984, employé au ministère de la Vérité, pour remanier les archives historiques afin de faire correspondre le passé à la version actuelle officielle du Parti. Les mécanismes médiatiques, amplifiés par les réseaux sociaux, privilégient le court terme, ils enterrent le passé sous les couches du présent.
Ils sont capables de s’enthousiasmer pour le professeur Didier Raoult, qui affirme détenir la solution pour sauver le monde en mars, alors que le même Didier Raoult jugeait en janvier « délirante » la médiatisation du virus chinois en Europe. Son succès médiatique est aussi dû au fait qu’il conforte l’idéologie populiste contre les institutions. Les procédures scientifiques de validation de l’usage des médicaments sont présentées comme la preuve de la technocratie et du système qui opprime les individus.

Les oppositions, avaient mis en accusation Roselyne Bachelot sur la gestion de la crise H1N1 de 2009 dans une commission d’enquête au titre lui aussi très novlangue sur le « rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le gouvernement de la grippe H1N1 ». L’objectif n’était pas de juger les faits, mais de justifier une analyse idéologique. Ils n’ont aucune pudeur en dénonçant aujourd’hui les conséquences de leur propre action.

Comment juger des partis politiques plus mobilisés sur leur positionnement idéologique que sur l’efficacité de la lutte contre l’ennemi : le virus. Décidément l’analogie avec la seconde guerre mondiale peut être fertile.