Développement durable – responsabilité sociétale des entreprises

Christian Brodhag, Développement durable – responsabilité sociétale des entreprises, SMIA 03 congrès international avec exposition d’innovations le management durable en action. 4 – 6 septembre 2004 Université de Genève. 4 septembre 2003, Session plénière A1, 15 h 20

Résumé

Nous n’allons pas définir pour commencer le développement durable mais montrer la nature particulière de ce concept. Aurélien Boutaud[1], en appliquant la théorie de la négociation considère que le développement durable serait une « valeur nouvelle » issue des négociations internationales susceptible de surmonter la contradiction entre l’environnement et le développement. Le débat sur la croissance du début des années 70 considérait qu’on ne pouvait que perdre sur un plan ou un autre, soit la croissance allait détruire l’environnement soit les politiques environnementales allaient casser la croissance. Le développement durable serait susceptible de dépasser cette contradiction en permettant des approches gagnantes gagnantes des deux points de vue de l’environnement et du développement.

Pour caractériser cette durabilité nous pouvons retenir deux indicateurs. Le développement serait caractérisé par l’indicateur de développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD). Les Nations Unies considèrent l’actuelle valeur moyenne 0,8 comme un objectif pour tous les pays. Le second indicateur serait l’empreinte écologique, c’est-à-dire la surface mobilisée pour le développement, qui est voisine de 2,3 ha par habitant. Or le seuil qui laisserait les espaces nécessaires pour la survie des écosystèmes, est voisin de 1,9 ha par personne.

Figure 1 : Performance des nations en matière de développement durable

On peut alors considérer que le développement d’un pays serait durable à condition que simultanément son IDH soit supérieur à 0,8 et son empreinte écologique inférieure à 1,9 ha. La Figure 1a montre qu’aucun pays ne se situe dans ces conditions. Or la trajectoire de développement  considérée comme normale (Figure 1b) s’éloigne du domaine de la durabilité. O voit que les pays développés devraient diminuer d’un facteur 3 à 5 leur pression sur l’environnement pour prétendre à la durabilité. En revanche les pays en développement doivent principalement augmenter leur IDH, se développer, sans augmenter pour autant leur empreinte écologique.

Le seul laisser faire du marché tel qu’organisé par l’OMC ne conduit pas vers la durabilité, c’est pourquoi il faut introduire des régulations et sociales et environnementales. Celles-ci doivent aussi bien se décliner au niveau mondial qu’aux niveaux nationaux et locaux. Les modes de production et de consommation devront aussi évoluer. L’objectif à 50 ans est sans doute de consommer dix fois mois d’énergie, de matière première de ressources de territoire pour le même service apporté. C’est pourquoi l’on parle des facteurs 4 (transitoirement) et 10.

Le sommet de Johannesburg a consacré une présentation du développement durable qui reposerait sur les trois piliers économiques sociaux et environnementaux. Il a aussi consacré la diversité culturelle comme une des composantes du développement durable. Fondamentalement le pilier social du développement durable est de permettre aux plus démunis d’avoir accès équitablement aux ressources pour leur développement. Mais juxtaposer ces trois points de vue ne suffit pas. Le développement durable introduit des perspectives de long terme, absentes des pratiques économiques et politiques traditionnelles, des articulations nouvelles entre les problématiques mondiales et les perspectives locales, il implique des visions intégrées et repose sur des processus de coopération dans un monde dominé par la compétition. On voit alors que le développement durable est une nouvelle façon d’aborder les problèmes, les processus de décision s’appuient par exemple sur la notion de gouvernance.

La large diffusion de la notion de développement durable dans des milieux différents est aujourd’hui un problème. Alors que l’élaboration du concept a relevé d’une négociation coopérative, son appropriation par les différents milieux est aujourd’hui compétitive. Chacun le considère à partir de sa grille d’analyse. On peut donner une première liste de préoccupations qui se considèrent comme « ayant fait du développement durable comme M. Jourdain faisait de la prose », car ils trouvent dans cette problématique des réponses à leurs propres questions ou le prolongement de certaines de leurs réponses : protection de l’environnement, gestion des ressources naturelles, management qualité / environnement, analyse de la valeur, gestion des ressources humaines, éthique d’entreprise, transfert de technologie, commerce équitable, design, société de la connaissance, aide au développement, développement local, gouvernance internationale, gouvernance et démocratie locale, évaluation et obligation redditionnelle, gestion des parties intéressées, économie des externalités, gestion des biens publics…

Un peu comme l’Amazone qui garde bien longtemps séparées les eaux de la confluence des Rio Negro et Solimoes, derrière le terme de développement durable cohabitent des concepts différents qui nécessitent aujourd’hui un travail transdisciplinaire qui est à peine ébauché[2]. C’est ainsi pour le terme de responsabilité sociétale. « La responsabilité sociale des entreprises est décrite comme l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties intéressées. Il s’agit non seulement de satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir davantage dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties intéressées.[3] »

Mais le mot social a une acception plus large en anglais que le terme français social, c’est pourquoi le terme de sociétal semblerait plus adapté. Mais pour éviter les ambiguïtés on peut être aujourd’hui conduit à évoquer la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise (RSEE). Mais celle-ci ne se différentie pas fondamentalement des objectifs du développement durable.

Les régulations internationales évoquées au-dessus ont fait partie des débats à Johannesburg. La proposition française d’une Organisation Mondiale de l’Environnement qui aurait un poids équivalent à l’Organisation Mondiale du Commerce n’a pas été retenue.

Dans l’attente d’une réelle gouvernance mondiale, les organismes internationaux ont pris des initiatives pour cadrer la responsabilité environnementale et sociale des entreprises : principes directeurs de l’OCDE à l’attention des multinationales (1997), principes fondamentaux de l’OIT (1998) et enfin le pacte mondial de l’ONU (Global Compact 2000). Mais comme les engagements sans vérification par les parties intéressées n’ont guère de poids, le PNUE, des entreprises et des ONG ont pris l’initiative de proposer un rapport type de développement durable (Global Reporting Initiative 1997). Dans la foulée certains pays comme la France imposent aujourd’hui aux entreprises cotées en bourse d’élaborer un rapport de développement durable.

En revanche, on ne disposait pas de ligne directrice pour la mise en œuvre des stratégies de développement durable. Différentes initiatives gouvernementales ou non-gouvernementales, ont été prises couvrant l’ensemble du thème de la RSEE ou seulement une partie :

  • Le standard SA 8000 s’intéresse principalement aux conditions de travail (pilier social), et compléteraient ainsi le management environnemental ISO 14001, pour contribuer au développement durable.
  • Le référentiel AA1000 est un cadre de conçu pour améliorer le dialogue entre les entreprises et les parties intéressées.
  • Des lignes directrices ont été proposées par le projet SIGMA initié au Royaume-Uni.
  • Le programme European Corporate Sustainability Framework est une initiative financée par l’Union européenne coordonnée par l’Université Erasme de Rotterdam.
  • Le projet Q-RES propose des lignes directrices de management pour la qualité des responsabilités sociales et éthiques de l’entreprise élaboré sous la responsabilité de l’Université de Castellanza de Varèze (Italie).
  • Le modèle d’excellence EFQM est aussi en cours d’évolution vers le développement durable.

En général ces cadres visent à fixer le champ du développement durable pour les entreprises. Un travail de mise en cohérence est aujourd’hui encouragé par l’Union Européenne.

Le projet de l’AFNOR SD 21000, plus axé sut les processus, se situe en position intermédiaire entre l’aide à la définition de la stratégie et la mise en œuvre dans le management.

Le fascicule de documentation SD 21000 est un guide pour la prise en compte des enjeux du développement durable dans la stratégie et le management de l’entreprise. Il ne s’agit pas d’un système de management ou d’une norme certifiable par tierce partie, mais d’un document permettant de guider l’entreprise dans le choix et la mise en œuvre d’une stratégie de développement durable.

L’entreprise doit identifier les enjeux de développement durable qui sont pertinents, en considérant les besoins et attentes des parties intéressées, qui détiennent des enjeux à son égard. C’est-à-dire l’ensemble des acteurs qui pourraient avoir un impact sur l’activité de l’entreprise et ceux sur lesquels l’entreprise pourrait avoir un impact. Mais le développement durable dépassant les seuls acteurs immédiats et locaux, une réflexion doit aussi être menée vis-à-vis d’enjeux plus larges comme les générations futures, de certains principes comme les principes de prévention et de précaution, de transparence et de participation.

Certains enjeux pourront être identifiés par branche d’activité (chaîne de la valeur, cycle de vie des produits) ou par territoire (Agenda 21 locaux, zones d’activités). L’approche par cycle de vie est vivement encouragée par la déclaration de Johannesburg est sert de base à un programme décennal visant à changer les modes de production et de consommation. Cette approche s’appuie sur des pratiques industrielles nouvelles ou pour l’instant confidentielles : l’écodesign et l’écologie industrielle, le passage du produit vers le service (dématérialisation et économie de la location), la traçabilité des produits, la sensibilisation et responsabilisation de l’écocitoyen dans son acte de consommation par des informations adaptées… Il s’agit en fait de maîtriser les enjeux de développement durable le long de la chaîne de la valeur. Le formalisme proposé par la SD 21000 permet les transactions sur les différents enjeux.

L’entreprise doit aussi identifier ses propres attentes vis-à-vis de ses parties intéressées. Le texte considère en effet «Les relations avec les parties intéressées ne sont pas à sens unique et bien des enjeux des entreprises doivent être gérées avec la participation de partenaires extérieurs. »

Ayant identifié ses enjeux, l’entreprise évaluera ensuite les risques et les opportunités pour distinguer les enjeux considérés comme significatifs qui seront la base de sa vision et de ses actions à venir. La seconde partie du texte SD 21000 porte sur la mise en œuvre concrète de cette démarche, en reprenant un certain nombre de composantes et d’étapes largement répandues en management, et fondées sur l’amélioration continue (voir les étapes sur la Figure 2).

 

Figure 2 : La démarche SD 21000[4]

La mise en œuvre de la démarche commence par un engagement et une implication de la direction. Un plan d’action initial est élaboré et déployé. Les actions sont suivies et évaluées. Les impacts sur les enjeux significatifs sont mesurés, notamment par l’utilisation d’indicateurs de développement durable. Ces informations pourront être communiquées aux parties intéressées et serviront de point d’entrée pour une revue de direction qui permettra d’engager le bouclage et l’amélioration continue.

Il ne s’agit donc pas d’une norme de management axée sur le Comment ? mais d’un guide de réflexion stratégique pour intégrer le développement durable dans la vision de l’entreprise (Quoi ? et Pourquoi ?). La mise en œuvre managériale ou le déploiement des programmes d’action n’est que la seconde étape.

Conclusion

La phase de la mise en œuvre du développement durable est aujourd’hui en marche, elle doit faire converger de multiples approches dans un même projet de développement (mainstream). La communauté scientifique doit se mobiliser de façon transdisciplinaire de façon à accompagner les approches transversales qui seront nécessaire. Pour cela la mise en réseaux des différents acteurs au niveau européen est une priorité.

[1] BOUTAUD A. (2002) Le développement durable, entre construction coopérative et appropriation compétitive : une valeur nouvelle issue de la négociation internationale, Rapport à l’ADEME n°1, 59 p

[2] L’aspect terminologique est très important car les mêmes mots couvrent des réalités souvent différentes. C’est pourquoi, nous avons entrepris la rédaction d’un dictionnaire à paraître aux Editions de l’AFNOR à l’automne 2003.

[3] Livre vert de la Commission des communautés européennes du 18 juillet 2001 : promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises.

[4] Développement durable – Responsabilité sociétale des entreprises. Guide pour la prise en compte des enjeux du développement durable dans la stratégie et le management de l’entreprise Fascicule de documentation SD 21000, FD X 30-021