Le développement durable : un enjeu pour le design

Azimuths revue de design, n°23, 2002, pp4-6

Le Sommet de Johannesburg sur le développement durable a non seulement conforté les diagnostics et les décisions prises à Rio de Janeiro en 1992 mais il a aussi contribué au lancement de nombreux projets qui donnent au développement durable un contenu plus concret et opérationnel. Le design se trouve au croisement de deux problématiques majeures évoquées lors du Sommet, dans lesquelles il peut puiser des sources de légitimité et d’évolution : la diversité culturelle et la modification des modes de consommation et de production.

Après un débat dont on mesure les implications, l’un des points acquis à Johannesburg est de placer la diversité culturelle au plus haut niveau des valeurs : « La paix, la sécurité, la stabilité et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, incluant le droit au développement, aussi bien que le respect de la diversité culturelle, sont essentiels pour assurer un développement durable et faire en sorte que ce type de développement profite à tous.(§5)[1] » La France milite par ailleurs pour faire reconnaître cette diversité culturelle comme un bien public mondial. Elle rencontre sur ce thème un large écho au sein des pays francophones, mais aussi d’autres pays qui, comme l’Inde, ont une culture vivante et créative.

La troisième partie du plan d’action arrêté de Johannesburg porte sur la Modification des modes de consommation et de production non viables et considère qu’« il est indispensable de modifier de façon radicale la façon dont les sociétés produisent et consomment pour assurer un développement durable.(§13) » et recommande d’« élaborer des politiques de production et de consommation pour améliorer les produits et les services fournis, tout en en réduisant l’impact sur l’environnement et la santé, en appliquant dans les cas appropriés, des méthodes fondées sur la science comme l’analyse du cycle de vie (§14c) »

Des outils issus des sciences de l’ingénieur ou de l’environnement, comme l’analyse du cycle de vie, le calcul de l’empreinte écologique ou la dématérialisation visent évaluer la performance environnementale des produits. Le principe d’écoefficience de la production permettant une consommation durable vise la maximisation de la valeur d’usage (service réel rendu au consommateur) et la minimisation de la consommation des ressources et des pollutions. On évoque ainsi le facteur quatre qui permet d’assurer la même unité de produit ou de service avec un usage de l’énergie et des ressources divisées par 4. Cette approche conduirait à des solutions nouvelles : traçabilité des produits, glissement du produit vers le service (dématérialisation), sensibilisation et responsabilisation de l’écocitoyen…

L’écoconception, appelée aussi “ ecodesign ”[2], intègre formellement les objectifs environnementaux dans le processus de développement des produits, et fournit une évaluation proactive, suivie et systématique de la performance environnementale des produits et services. Mais ce n’est pas seulement une affaire d’ingénieur et d’efficacité technique. Le design peut aussi développer une nouvelle approche de l’objet, moins éphémère ou jetable, dotée d’une vie plus longue et d’une valeur symbolique qui dépasse sa seule enveloppe matérielle.

Cette évolution passe par des outils contractuels comme les labels[3] et autres garanties d’origines. Ces outils sont encouragés par le programme de Johannesburg à condition qu’ils n’entraînent pas d’effets de distorsion sur les échanges. C’est pour remédier à ce problème que des programmes, comme le projet STIC (Sustainable Trade Information Center), visent à faciliter l’accès des pays du Sud à ces outils[4]. Le projet STIC est un partenariat mondial conçu pour permettre aux pays en développement de bénéficier des pressions croissantes du marché qui visent à intégrer les facteurs sociaux et environnementaux dans leurs stratégies d’exportation.

Cette évolution vise à une intégration de l’ensemble du cycle de vie, c’est à dire qui renforce les relations entre les différents acteurs de la chaîne de valeur : producteur, distributeur, consommateur et recycleur. Enfin elle peut passer par des échanges symboliques où l’image joue un grand rôle. Le design relève de ce système de communication par lequel l’entreprise gère sa marque et fidélise le client. S’il contribue ainsi en aval à la communication de l’entreprise, il s’exécute en revanche en amont de l’ingénierie du projet, dans la phase de conception où il intègre les données du consommateur fournies par le marketing et les disciplines sociales.

Chargé de répondre à la satisfaction d’usage du consommateur, le designer doit être sensible aux orientations sociétales et les traduit dans le choix des solutions qu’il préconise. Sa formation culturelle et en sciences humaines doit l’y préparer. Elle comporte aujourd’hui de façon croissante les questions d’éthique, d’écologie et de développement durable.

Il conduit à s’interroger sur sa relation à la culture. Nous devons adopter ici une vision étendue de la culture comme le propose Ismail Serageldin : « la culture est un complexe de caractéristiques spirituelles, matérielles, intellectuelles et émotionnelles qui caractérise une société ou un groupe social. Cela inclut non seulement les arts et les lettres mais aussi les croyances, traditions, systèmes de valeur, modes de vie et les droits fondamentaux des êtres humains. (…) En plus d’être précieux au niveau de la communauté ou du pays, la culture est aussi un bien public à l’échelle mondiale. »[5]

Avec cette vision il n’y a pas une culture mais des cultures diversifiées car la culture n’existe qu’à travers les cultures.  « Le double phénomène de l’unité et de la diversité des cultures est crucial. La culture maintient l’identité humaine dans ce qu’elle a de spécifique ; les cultures maintiennent les identités sociales dans ce qu’elles ont de spécifique. »[6].

Un design « durable » (sustainable) vise donc l’intégration du maximum de fonctionnalités et des valeurs d’usage, de valeurs esthétiques et culturelles, pour un produit ou un objet, avec un usage efficient des ressources. Le processus de conception et de production étant asservi à la formalisation de la demande, voire au-delà des besoins des utilisateurs finaux. Mais les parties intéressées ne se limitent plus au client direct, mais à l’ensemble plus large de ceux qui peuvent être affectés directement ou indirectement par les produits et leur usage, voire l’ensemble de la société.

Dans cette perspective il n’y aurait pas un design mais des designs correspondant à des matériaux diversifiés, que ces matériaux soient physiques (bois, métaux, matériaux neufs ou recyclés) et des matériaux culturels divers. C’est cette perspective qui doit nous faire porter un regard nouveau aux designs issus des différents pays présents à la Biennale du Design de Saint-Etienne.


[1]     Traduction non officielle de : Plan of Implementation, World Summit on Sustainable Development, advance unedited text, 4 September 2002

[2]     Ce qui rajoute à la confusion des traductions depuis et en anglais. On évoquera aussi le « sustainable desing » mais souvent avec un contenu seulement environnemental, alors que nous défendons ici une vision plus large du développement durable que la seule performance environnementale.

[3]     Des normes portent sur les labels environnementaux (série ISO 14020) et l’analyse du cycle de vie (série ISO 14040).

[4]     Site Internet du projet STIC : www.istic.com

[5]     Ismail Serageldin, Cultural heritage as public good, in Global Public Goods, édition dirigée par Inge Kaul, Isabelle Grunberg, Marc A. Stern, publié pour le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) New York Oxford, Oxford University Press 1999, p240, traduit par l’auteur

[6]     Edgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, © UNESCO, octobre 1999, disponible sur Internet http://www.agora21.org/unesco/7savoirs/index.html