Les grands enjeux comme le climat, la biodiversité ou les limites écologiques globales ne peuvent être appréhendés dans la stricte limite des frontières nationales. Les échanges internationaux de biens et de services délocalisent fortement les émissions et les pressions sur l’environnement.
C’est ainsi que 28% des émissions mondiales des gaz à effet de serre sont transférées entre pays via les importations et exportations de biens et de service (1). En 2010, 27% des émissions chinoises ont été liées à des biens exportés. La France est de son côté largement importatrice. Nos émissions « officielles », fondées sur la seule production, ont diminué de 7,5% entre 1990 et 2010. Mais en réalité, en tenant compte des importations ces émissions ont augmenté de 14% sur la même période. Dans le domaine de la biodiversité, les pressions écologiques dans les pays en développement, généralement démunis sur le plan réglementaire, sont largement liées à l’export.
La question est donc de considérer les impacts générés par les produits et services quels que soient le lieu de leur émission. C’est l’objectif de l’approche par le cycle de vie qui consiste à considérer les impacts sur l’environnement de chacune des étapes : des matières premières, de la fabrication, du transport, de l’usage et de la fin de vie. Elle vise à minimiser les impacts sur l’ensemble de ces étapes, et non plus l’une d’entre elle, la seule production. Cette approche initiée dès les années 70, prend toute sa pertinence aujourd’hui dans une perspective d’économie circulaire, pour laquelle ce cycle est idéalement fermé. Les déchets issus de cycles industriels sont recyclés par ce système industriel, et les déchets organiques, notamment des produits bio-sourcés réintègrent les cycles de la biosphère.
Même si la gouvernance internationale de l’environnement, comme la Convention climat, reste fondée sur des engagements nationaux sur les émissions dues à la production, l’approche par le cycle de vie qui est de nature transfrontalière commence à s’installer. A travers l’objectif de développement durable n°12 sur la consommation et la production durables, le programme de développement 2015-2030 des Nations Unies fait explicitement référence à l’approche cycle de vie à la consommation. Dans le domaine de la chimie, des déchets et de l’alimentation la mise en œuvre de l’approche cycle de vie fait même l’objet de cibles formelles.
La nouvelle version 2015 de l’ISO14001, la norme de management environnemental, qui était limitée jusque-là aux seuls périmètres des entreprises et des sites de production, intègre maintenant la perspective du cycle de vie (2) amenant de profonds changements dans sa mise en œuvre.
Ces évolutions institutionnelles et normatives rejoignent l’attente des consommateurs d’une meilleure traçabilité des produits. Principalement orientées vers l’environnement, ces approches touchent aussi les questions sociales.
Alors que l’analyse du cycle de vie traditionnelle se focalisait sur l’amont la chaine d’approvisionnement, dans le cadre de l’économie circulaire on considère aussi l’aval du cycle et le bouclage effectif. L’analyse de cycle de vie, dite conséquentielle, considère aussi l’aval et intègre plus largement les conséquences et les effets induits par la consommation.
L’approche traditionnelle du cycle de vie s’attachait à un produit. Elle s’élargit avec la version 2015 de l’ISO 14001 qui considère l’ensemble des activités, produits et services d’une entreprise, d’une organisation, toute la difficulté résidant sur la définition d’une unité de référence. En effet la norme demande d’évaluer l’ensemble de ces activités, produits et services dans une perspective de cycle de vie, mais ne définit pas précisément cette unité. Cette approche par le cycle de vie est envisagée pour des organisations encore plus larges : les villes en intégrant l’ensemble des intrants et des extrants, mais cette question reste encore du domaine de la recherche (3).
Autre question, encore du domaine de la recherche, celle de la prise en compte des limites planétaires. L’analyse de la « durabilité absolue » permet d’affecter la capacité de charge de la planète aux chaines de la valeur mondiales, et donc aux différents types de consommation. Cette approche a été appliquée à l’impact sur la biodiversité du portefeuille alimentaire d’un distributeur (Casino) et donc aux individus, leurs clients (4).
Du fait de son caractère transfrontalier la prise compte du cycle de vie ne peut être imposée par les institutions internationales et relève d’approches volontaires. Celles-ci vont tout de même progresser car l’approche par le cycle de vie est un moteur d’innovation et de création de valeur.
Une étude portant sur près de 119 entreprises avait déjà montré les gains économiques de l’écoconception (5). Dans 96% des cas étudiés, l’éco-conception avait permis d’augmenter la performance globale de l’entreprise ; et dans 45% des cas les entreprises avaient réussi à augmenter leur marge brute en éco-innovant. Le constat est clair, l’intégration de l’environnement était un facteur d’innovation. Plus les entreprises prenaient en compte d’étapes du cycle de vie plus elles étaient gagnantes.
Cette perspective d’innovation est liée à la capacité à transformer un enjeu environnemental de bon usage des ressources en un modèle économique.
L’intégration de la pensée du cycle de vie dans un système de management existant, comme le propose l’ISO 14001 (version 2015), permet à une entreprise de prendre une position de leader au sein de la chaine de la valeur, et d’identifier ses risques et ses opportunités. En conséquence elle peut créer de la valeur le long du cycle de vie, en exploitant différentes opportunités qui sont diverses. La transformation des déchets en de nouvelles ressources est à proprement parler une création de valeur. Conserver la valeur par la réparabilité, les modèles de servicisation pour lesquels on remplace le produit par un service, le rejet de l’obsolescence programmée, sont autant de gisement de valeur.
La gestion stratégique de cette valeur nécessite de trouver les conditions de son partage. Une répartition équitable et efficiente de la valeur est à même de fiabiliser et fidéliser les intervenant et parties prenantes de ces différentes étapes : fournisseurs, sous-traitants, clients consommateurs, opérateurs de services, recycleurs…
Dans cette perspective, l’environnement n’est ni une charge et ni un surcoût, mais un élément de la performance. Cette intégration dans la stratégie des entreprises au cœur de leur modèle économique passe par trois niveaux :
– Penser cycle de vie pour innover et développer de nouveaux produits ou services.
– Évaluer le cycle de vie, c’est-à-dire acquérir les informations, fonder les décisions et rendre compte notamment aux consommateurs
– Manager et assurer une maîtrise de l’ensemble du cycle et la valeur créée à toutes les étapes, par la contractualisation ou le partenariat
Aujourd’hui on dispose sur toutes ces questions d’outils et de méthodes, adaptés pour accompagner les entreprises des débutantes aux plus matures (6). Certaines ont été présentés lors du colloque Eco-innovation, événement co-organisé par l’ADEME et le Pôle national Eco-conception, Performance du cycle de vie (7)
1 – Meike Fink, Célia Gautier. Les émissions importées. Le passager clandestin du commerce mondial. RAC, ADEME, CITEPA. Avril 2013.
2 – Julien Boucher, Pauline Evequoz, Damien Friot, Samuel Mayer, Nadège Van Lierde. 2017. Adopting a life cycle perspective through ISO14001: a game changer, How to increase your company’s performance using eco-design. Pôle Ecoconception, EA, ENEC
3 – Jaume Albertí, Alejandra Balaguera, Christian Brodhag, Pere Fullana-I-Palmer. Towards life cycle sustainability assessement of cities. A review of background knowledge. Science of the Total Environment, Elsevier, 2017, 609, pp.1049 – 1063.
4 – Anastasia Wolff, Natacha Gondran, Christian Brodhag. Detecting unsustainable pressures exerted on biodiversity by a company. Application to the food portfolio of a retailer. Journal of Cleaner Production, Elsevier, 2017, 166, pp.784-797.
5 – Naciba Haned, Paul Lanoie, Sylvain Plouffe, Marie-France Vernier. 2014. La profitabilité de l’écoconception, une analyse économique. Institut de développement de produits (IDP), Pôle Éco-conception et Management du Cycle de Vie
6 – Contact au Pôle Ecoconception : https://www.eco-conception.fr/
7 – Ce colloque organisé avec le soutien de la Région Auvergne Rhône Alpes et de la CCI Lyon-Métropole Saint-Etienne Roanne, en partenariat avec le Réseau Européen des Ecodesign Centers (ENEC) et le PNUE, s’est déroulé à Lyon le 25 octobre 2018