Bois, énergie ou matériaux : quelle contribution à la transition. VV170

Valeurs Vertes n°170, octobre novembre 2021

La Forêt est un élément clé de la politique sur le changement climatique celui des changements d’utilisation des terres. Au niveau mondial entre 2007 et 2016, l’ensemble des activités du secteur agriculture, foresterie et autres usages des terres (AFOLU) a été à l’origine d’environ 13% des émissions de CO2 et de 23% de l’ensemble des émissions de GES, en incluant le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O). Mais le secteur a contribué inversement à capter du carbone, comme puits, avec 29% des émissions totales de CO2[1]. Mais ce puits risque de nous faire défaut notamment du fait du changement climatique lui-même et de la déforestation.

Celle-ci est sauvage et illégale, ou planifiée par certains régimes comme au Brésil. Près de 10 à 15 % de l’approvisionnement mondial en bois provient d’exploitations forestières illégales, pouvant aller jusqu’à 50 % dans certaines régions. A travers son Règlement Bois (RBUE), l’Union Européenne vise à écarter du marché communautaire le bois et les produits dérivés issus d’une récolte illégale.

Mais l’exploitation du bois n’est pas seule en cause, de nombreux produits agricoles causent indirectement la déforestation. C’est pour cela que la France a adopté en 2018 une Stratégie Nationale de lutte contre la Déforestation Importée visant notamment à mettre fin d’ici 2030 à l’importation de produits forestiers ou agricoles non durables contribuant à la déforestation dans les filières de cacao, hévéa, soja, huile de palme, bois et ses produits dérivés, et bœuf et co-produits[2].

Mais la forêt ne stocke pas le carbone uniquement dans le bois mais aussi dans le sol. Comme les icebergs dont la plus grande partie est immergée, 19% du carbone dans la biosphère terrestre sont stockés dans la végétation et 81% dans le sol.

Dans une logique purement carbone, certains proposent l’incorporation de charbon de bois dans les sols à une échelle permettant l’extraction de 6,6 GtCO2 par an de l’atmosphère soient plus de 10% des émissions mondiale. Mais les cultures énergétiques dédiées, nécessaires à la production de ce charbon de bois, pourraient occuper quelque 20 % de la superficie des terres cultivées dans le monde en mettant en péril l’alimentation de 100 millions de personnes. Il y a, à l’évidence, conflit dans l’usage des terres.

D’une façon qui valorise les co-bénéfices d’une action pour le climat, l’initiative « 4 pour 1000« [3] lancée par la France à la COP21 vise à accroître la teneur en matière organique des sols et la séquestration de carbone, « à travers la mise en œuvre de pratiques agricoles adaptées aux conditions locales tant environnementales, sociales qu’économiques, comme le proposent notamment l’agro-écologie, l’agroforesterie, l’agriculture de conservation ou la gestion des paysages ».

Pour le volet forestier le GIEC considère que les activités de reforestation ne permettent pas de garantir indéfiniment la séquestration du carbone. Il faut considérer la temporalité, c’est-à-dire la durée cycle du carbone, la période de stockage, celle de la stabilité et de l’éventuel déstockage. Ce déclin peut provenir de l’exploitation du bois mais aussi des changements climatiques eux-mêmes.

Comme le note le chercheur Philipe Ciais une forêt âgée stocke de 5 à 6 fois plus de carbone qu’une plantation récoltée fréquemment[4].

Le GIEC considère que le bilan est certainement positif sur les terres déjà dégradées avec un faible contenu en carbone, où la restauration de la végétation naturelle et la plantation d’arbres enrichit, sur le long terme, le carbone présent dans la couche superficielle du sol et la couche profonde.

Dans une situation où le stockage, aérien et dans le sol, ne se produit que sur une longue période, une croissance rapide de la consommation de bois énergie, ne permet plus d’atteindre de bilan positif. Les gains à long terme sont consommés par une consommation accrue sur le court et moyen terme.

C’est la raison qui a poussé 500 scientifiques à interpeller les présidents des Etats Unis et de la Commission Européenne pour les alerter sur les méfaits du bois énergie. Ce qui est apparu comme une solution au problème climatique a en fait un bilan catastrophique.

L’efficacité énergétique de pellets de bois est inférieure à celle de combustibles solides, leur combustion rejette plus de gaz à effet de serre que le charbon pour la même production d’énergie. L’alibi de la production renouvelable de cette ressource est en cause. Certes le carbone stocké dans un arbre a été capté dans l’atmosphère par l’énergie du soleil, mais cela concerne le passé, c’est-à-dire entre déjà dans le bilan de l’équilibre climatique actuel. Que l’extraction du CO2 ait eu lieu il y a 300 millions d’années ou l’année dernière n’est qu’une question morale. Pour l’avenir, le rythme lent du développement d’un nouvel arbre supposé le remplacer pour capter son équivalent carbone, et l’évolution liée du carbone stocké par le sol empêchent de pouvoir répondre à l’urgence. L’explosion du marché des pellets auquel on assiste au niveau mondial est donc catastrophique pour le climat.

La pression sur la forêt est croissante, et ne concerne pas que le marché mondial mais aussi la forêt française. Les prélèvements de bois en forêt française représentent 56 % de l’accroissement biologique des arbres sur la période 2008-2016[5].

Mais deux changements profonds s’amorcent pour augmenter cette pression. Le premier est économique, avec le mouvement de relocalisation et de valorisation des ressources locales. Le second plus problématique encore est écologique.

Les forêts françaises produisent actuellement 90% des besoins nationaux et 75% des besoins industriels en bois (hors énergie). L’importation de 16,7 milliards d’euros de produits forestiers est en croissance de 4,1% annuel. Elle est supérieure à l’exportation de 9,9 milliards d’euros qui ne croit que de +2,5%. Dans une logique économique de reconquête des marchés la France a créé le label BOIS DE FRANCE. Ce label sera attribué à des produits ou des entreprises qui valoriseraient au moins 80% de bois d’origine française. Il intègre les problématiques environnement à travers les labels certification PEFC ou FSC.

Il s’agit de rapatrier en France des productions importées pour les besoins actuels, mais la demande de ressources tirées de la forêt est en croissance. Le bois énergie que l’on vient d’évoquer, et les matériaux biosourcés qui se développent rapidement, notamment dans la construction. A la différence du bois énergie, les produits contenant du carbone renouvelable qui ont une longue durée de vie contribuent à la réduction de l’empreinte carbone. C’est le cas du bâtiment.

Quels enseignements politiques en tirer.

L’environnement ne peut être abordé qu’avec une évaluation scientifique rigoureuse et élargie des problèmes écologiques. L’optimisation monocritère environnementale conduit systématiquement à des problèmes : le critère énergie favorisant le diesel qui produit des particules avec un impact sur la santé, le recyclage maximal des protéines qui conduit à la crise de la vache folle, l’isolation des logements sans renouvellement d’air contribuant à la pollution de l’air intérieur, l’allongement de la durée de vie et la stabilité des molécules (PCB ou plastiques) conduisant à une persistance dans l’environnement…

Il est nécessaire de considérer les solutions pour le climat avec une approche systémique, celle plus générale des services tirés des écosystèmes, ceux-ci sont au nombre de 4.

Les services dit d’approvisionnement ou de production comme l’alimentation, les combustibles, les matériaux …. Qui font en général l’objet de marchés. Les services de régulation permettant de modérer ou réguler les phénomènes naturels comme le climat ou l’érosion. Les services culturels et les bénéfices non-matériels. Enfin les services de support ou de soutien qui créent les conditions de base au développement de la vie sur Terre : formation des sols, production primaire, air respirable, etc…).

Le contenu carbone d’un sol vivant est un élément clé tant support de la productivité agricole que de la régulation climatique.

La complexité et la variabilité des conditions géographiques devraient conduire à décliner ces analyses environnementales des fonctions écologiques au niveau local. Combiner réellement les plans climats et les plans biodiversité.


[1] La plupart des chiffres de cet article est tiré de : GIEC 2020. Changement climatique et terres émergées. Rapport spécial du GIEC sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres.

[2] www.deforestationimportee.fr/

[3] www.4p1000.org/

[4] Le Monde 5 juin 2021

[5] https://naturefrance.fr/indicateurs