Allocution inaugurale : forum développement durable en Côte d’ivoire

Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux d’ouvrir ce forum. Et en présence de toutes ces compétences réunies, je mesure aussi la tâche qui est la mienne. J’ai quelques minutes pour essayer d’introduire une question aussi difficile et complexe que celle du développement durable. J’espère pouvoir m’acquitter de ma tâche. Je vais tout de suite commencer par éclairer la manière dont on pourrait illustrer le développement durable. Puisqu’il s’agit finalement de marier environnement et développement, on pourrait essayer de choisir deux indicateurs :

– Le premier, celui de l’échelle verticale, serait l’indicateur de développement humain. C’est ce qui qualifie la qualité de vie, pas simplement le produit intérieur brut et les revenus, mais aussi l’accès à l’éducation, l’accès à la santé… Il s’appuie sur un certain nombre de données qui ont été réunies par le Programme des Nations Unies pour le Développement comme étant l’Indicateur de développement humain (IDH).

– Le deuxième indicateur, en matière d’écologie, est l’empreinte écologique. L’empreinte écologique c’est le nombre d’hectares biologiquement productifs nécessaires pour fournir nos besoins. Puisqu’il y a, à peu près, 12 milliards d’hectares productifs sur terre, en divisant par la population mondiale, c’est un peu moins de 2 hectares qui sont disponibles par habitant. On peut présenter ces chiffres autrement en convertissant en planètes : Si chacun consommait à peu près deux hectares, on consommerait les ressources naturelles d’une planète pour nourrir l’ensemble de la population. Mais une consommation individuelle de 10ha ne peut pas être généralisée à l’ensemble de la population, car il faudrait 5 planètes, voilà le problème.
La consommation individuelle, qui serait durable en matière écologique, doit être donc inférieure à deux hectares de ressources.

L’objectif fixé pour l’indicateur de développement humain par les Nations unies est de 0,8. Donc, d’une certaine façon, la zone développement durable, combine une faible empreinte écologique, mois de 2 ha et un bon niveau de vie, 0,8 de IDH. Voilà l’objectif commun qui nous est finalement donné.

Comment se situent les pays, vis à vis de ces objectifs ?
On voit d’abord qu’il n’y en a aucun dans la zone de développement durable. Soit certains pays ont une faible empreinte écologique, donc une faible consommation de ressources, mais malheureusement ils se situent en dessous du niveau de développement fixé. On trouve ici les pays en développement. La Côte d’Ivoire pourrait se trouver dans ce quartier-là. Au contraire, les pays industrialisés ont un haut niveau de vie mais, par contre, une forte empreinte écologique.

Plus important que la situation des pays, c’est leur trajectoire. Dans le mode de développement qui se déploie aujourd’hui, chaque pays cherche à se développer avec le modèle de celui qui se situe devant lui. La courbe de développement qui en résulte s’éloigne complètement de cette zone que nous avons qualifiée de développement durable. L’objectif du développement durable est donc principalement, pour certains pays, leur développement, et pour les autres, principalement la réduction de leur empreinte écologique.
C’est à mon avis de là que provient une certaine confusion. Comme les points de départ sont loin d’être les mêmes, les trajectoires pour converger à terme sont différentes.

En conclusion a finalement trois grandes catégories de pays :
– Les pays les moins avancés en développement mais où l’objectif est de trouver un mode de développement qui permettent le progrès social sans trop consommer les ressources, c’est-à-dire en évitant d’emprunter les mêmes voies qu’ont empruntées les pays industrialisés ;
– Les pays en transition industrielle, on peut penser à la Chine ou d’autres, où là, évidemment, il est très important que très rapidement le mode de développement industriel adopté puisse s’orienter vers le développement durable. Ce qui n’est pas évidemment le cas pour beaucoup ;
– Et puis enfin pour les pays industrialisés de baisser leur empreinte écologique même si des questions d’équité sociale doivent progresser à l’intérieur de ces pays.
Le premier élément à retenir, c’est que le développement durable doit emprunter des voies différentes selon la situation des pays.

La genèse de ce développement durable se situe dans une histoire que je veux très brièvement raconter : tout a commencé dans les années 70 avec le club de Rome, avec la conférence de Stockholm. A l’époque on opposait environnement et développement. Avec le terme « halte à la croissance » on était sur l’idée d’une compétition environnement-développement. C’était l’un ou l’autre. C’est à partir de la commission Brundtland de 1987 puis du sommet de la Terre de 1992 que s’est imposée cette notion du développement durable qui vise à concilier les deux.
Au début, à Stockholm dans le début des années 70, les acteurs mobilisés étaient les scientifiques et les ONG. Puis à la conférence de Rio c’est la prise en main par les gouvernements et les nations. Enfin, petit à petit, la mondialisation s’est imposée et a déplacé la pression vers les entreprises. Les pouvoirs publics doivent agir, les États doivent faire des choses, les organismes d’aide au développement doivent faire des choses. Mais les investissements privés sont aussi importants, la façon dont les entreprises investissent et se comportent peut contribuer au développement durable. Cette pression mise sur les entreprises a pris différentes formes qui seront évoquées dans ce forum.

Et enfin au Sommet de Johannesburg en 2002, le message est : pour faire changer les entreprises, il faut aussi que les consommateurs changent leur mode de consommation. Finalement, on parle aujourd’hui de changement conjoint des modes de consommation et de production. Si on ne change pas le consommateur, on ne changera pas la production. C’est cette accumulation, d’enjeux, avec différentes communautés, différents acteurs qui font qu’aujourd’hui on mélange deux questions importantes : le développement durable et la responsabilité sociétale des entreprises. La responsabilité sociétale étant la contribution des entreprises et des organisations au développement durable.

Ce forum permettra des échanges sur ces questions, d’établir des convergences entre le monde économique et le monde des politiques publiques. Évidemment au milieu de tout cela il y a un certain nombre de conventions, de référentiels et d’approches.
Je vais essayer très rapidement de dire pourquoi le développement durable, par les problèmes qui sont posés, change notre façon d’agir et notre façon de concevoir les problèmes. Le premier élément est la définition de Brundtland qui est bien connue, le second c’est qu’on converge sur l’idée qu’il y a trois piliers pour le développement durable : la nature (les ressources naturelles), la société avec la composante culturelle et l’économie. La question du développement durable c’est de faire fonctionner ces trois piliers ensemble, en synergie.

La nature est considérée à travers deux visions : C’est dans la nature que nous puisons nos ressources (c’est l’idée qu’il y a derrière l’empreinte écologique) et c’est cette nature qui est détruite ou dégradée par les pollutions. On a très souvent commencé les politiques d’environnement par la lutte contre la pollution, par l’idée qu’il faut empêcher les pollutions, privilégier les protections. Ce qu’apporte le développement durable c’est cette reconnaissance que notre développement dépend des ressources naturelles, notamment des services fournis par les écosystèmes. Et donc utiliser, valoriser la nature, doit être une façon de la protéger. C’est donc un mode de gestion de l’environnement où l’on ne protège pas pour protéger, mais où on utilise les ressources de la nature d’une façon qui maintienne la production pour les générations futures.

Quatre façons nouvelles de voir les problèmes à cause du développement durable, quatre thèmes qui sont en tension :

– Le court terme, mais aussi le long terme. C’est sûr qu’en parlant des générations futures, on a une perspective différente de l’histoire, une perspective de la responsabilité vis-à-vis des générations futures mais en même temps dans les actes à court terme on prend en compte le long terme, c’est-à-dire la capacité qu’on a de reproduire, la consommation.

– Deuxièmement, entre le global et le local. On sait bien que nous sommes dans une mondialisation pas simplement économique mais aussi environnementale. Les changements climatiques sont globaux, mais en fait les actions sont locales. C’est donc cette articulation entre le global et le local, entre des politiques internationales et la mise en œuvre sur le terrain qui est en question.

– Troisièmement, il s’agit du simple et du complexe. C’est globalement de dire qu’on est dans une approche très système. Quand on agit à un endroit, cela a des répercutions sur un autre endroit du système. On ne peut pas séparer les problèmes en les regardant les uns après les autres, mais c’est bien en ayant une approche coordonnée, intégrée.

– Et enfin, le développement durable nous rappelle que nous avons des ressources limitées et pour pouvoir les gérer collectivement au niveau de la planète il faut mettre en place des principes d’équité et des processus de coopération. On ne peut pas gérer des ressources limitées comme celle de la planète par la pure compétition économique ou par le pur rapport de forces. C’est bien par des processus de coopération, coopération entre les acteurs, entre les pays, entre le secteur privé et le secteur public que cette gestion sera possible.

Donc, en nous projetant plus sur le long terme, des approches globales, des approches système et des processus de coopération, le développement durable modifie la façon d’agir, la façon de décider collectivement et de travailler collectivement; d’où l’idée de gouvernance, c’est-à-dire les processus de décision et d’action collective. On est plus dans une approche où d’un côté il y a les gouvernants qui vont faire des lois et les faire appliquer par la police et de l’autre ceux qui doivent appliquer. C’est en réalité beaucoup plus complexe que cela. On recherche des consensus, on recherche de solutions mutuellement gagnantes. Cette approche de gouvernance est fondée sur les processus d’amélioration continue et de transparence.

Le développement durable c’est, je l’ai dit, un changement dans la façon de considérer l’environnement, selon une étude fondamentale qui est sortie en 2005 et qui évalue les services des écosystèmes et leurs liens avec le bien-être de l’Homme. Ces services apportent un grand nombre de bienfaits en matière de sécurité, de santé, de bien-être, etc. Un certain nombre de services passent par des services marchands, mais aussi beaucoup de services non-commerciaux surtout dans les pays en développement.

Dans ce contexte de nouveaux modes d’action publique se développent comme les marchés publics. Je citerais le cas de la France sur l’achat durable de bois tropicaux qui concerne votre pays. En 2010, 100% des achats publics de bois tropicaux devront être issus de forêts écocertifiées. Ces mesures permettent de garantir la durabilité de l’exploitation forestière, mais doivent engager les pays producteurs à développer et appliquer un cadre légal, des processus de gestion et de planification. .

La mise en œuvre du développement durable dans un pays passe par la Stratégie nationale de développement durable qui permet de coordonner l’ensemble des politiques et de mettre en place un processus d’amélioration continue. Depuis 1992 les méthodes d’approche ont convergé. Il est intéressant de comparer cette approche à celle de la responsabilité sociétale qui est décrite dans l’ISO 26000. Il s’agit encore d’un document provisoire. Il y a donc des approches parallèles à avoir. Au niveau national, ce sont les stratégies nationales de développement durable. La Francophonie à mis en place un processus d’échange d’expérience entre « pairs » sur les SNDD. Au niveau local. il faut déployer le développement durable par les Agendas 21 locaux, car les ressources dont on a parlé doivent être gérées au niveau local. Il existe des réseaux de collectivités locales qui travaillent sur le développement durable.

Et puis si l’on regarde de l’autre côté, du côté du monde économique et des entreprises, il y a les filières. Je crois que c’est très important pour un pays comme la Côte d’Ivoire avec ses grandes productions de matières premières, de les approcher de façon cohérente vis-à-vis du développement durable. Ces approches filières devront donc être intégrées dans la stratégie nationale de développement durable et être à la base de la stratégie des entreprises au niveau local. Ces entreprises devant donc à la fois maîtriser les enjeux de développement durable de leur filière et du territoire sur lequel elles opèrent. Les modes de faire des uns et des autres doivent s’organiser pour que cela se combine bien et que finalement le public et le privé cheminent bien ensemble en se renforçant mutuellement, chacun ayant sa responsabilité. Il n’est évidemment pas question de remplacer les politiques publiques et les pouvoirs publics qui conservent leur pouvoir régalien et leurs responsabilités. Les entreprises ont pour responsabilité principale de faire du profit, de faire de la production, mais aussi de valoriser leur capital humain, d’économiser des ressources, de produire un certain nombre de biens qui sont à la fois des biens de l’entreprise mais en même temps peuvent profiter à la collectivité. L’objectif est de rechercher un jeu gagnant/gagnant. Pour construire cet avenir partagé il faut faire travailler les acteurs ensemble.

Alors pour finir c`est parce qu`ont gère ensemble des biens publics que cette coopération est aussi un facteur de paix, de dialogue entre les différentes parties de la société et ça, c’est sans doute, pour le cas des pays qui ont traversé des crises, un moyen de surmonter les oppositions.
Et puis enfin un avantage externe de positionnement international, de positionnement des produits, d’insertion du pays dans un réseau de coopération internationale. Il y a de multiples avantages dont on aura l`occasion de parler pendant ces deux jours.

Alors en conclusion, on se rend compte qu`un des problèmes c`est la mise en cohérence. On a différentes politiques menées dans les pays sur le développement durable, au niveau international c’est la Commission du développement durable des Nations Unies, le Programme des Nations Unies pour le développement durable. Vous avez par ailleurs le Programme de réduction de la pauvreté dont j`ai parlé tout à l’heure, suivi par la Banque mondiale, le FMI, etc. Vous allez donc avoir aussi les Objectifs du millénaire où là aussi il y a un certain nombre d`acteurs internationaux. Si on ajoute à cela la responsabilité sociale des entreprises qui sont suivi encore par d’autres acteurs et réseaux internationaux. C’est un problème parce que les pays sont soumis à des attentes d`organisations internationales et d`un certain nombre de parties intéressées différentes, qui leur demandent de progresser. Or en fait, les pays doivent rechercher une cohérence et donc cette diversité ne les aide pas.
La Stratégie nationale de développement durable doit pouvoir apporter cette cohérence, c’est une des idées qui est promue dans les réseaux francophones. Au niveau national il est nécessaire de coordonner les politiques de façon interministérielle, mais les pays doivent aussi pouvoir aussi remonter ces problèmes au niveau des organisations internationales et demander une certaine cohérence parce que les pays sont victimes du cloisonnement des organisations internationales. La Banque mondiale va travailler avec le Ministère de finances des pays donc la lutte contre la pauvreté est développée avec les Ministères des finances sans que le ministère de l’environnement puisse intervenir pour introduire le pilier environnemental du développement durable.

Chaque organisation internationale demande des choses différentes, une Stratégie nationale de développement durable peut permettre de répondre en disant : nous avons nos priorités de développement, nous les avons évaluées et partagées avec l’ensemble des acteurs de notre pays, nous prenons en compte vos attentes mais dans un ensemble cohérent qui nous appartient.

Alors en conclusion, deux points au-delà des questions que j`ai déjà évoquées. Avant tout chaque pays en fonction de ses contraintes, de ses opportunités, du niveau de conscience et de maturité, a sa capacité à trouver la voie du développement durable. Il n’y a pas une voie unique mais il y a des voies parce que même si l`objectif à terme, c’est d’avoir de l`harmonie sur une planète, c’est de nourrir une population et de soutenir un certain niveau de vie acceptable pour tous. Cela peut être un objectif à long terme pour tous.
Enfin, dans l`espace francophone des travaux sur le développement durable sont menés. En effet bien que chacun doive trouver sa voie, il y a toujours de la production collective et de partage d’expérience. La francophonie, sous l`impulsion de l`IEPF qui est l`organe en charge des questions d’énergie et d’environnement et de développement durable, a lancé un certain nombre de réseaux et communautés de travail.
Une plate-forme sur la responsabilité sociétale et le développement durable, appuie les groupes miroirs nationaux de l`ISO 21000 qui permet d’avoir une voix différente et de faire valoir des perspectives spécifiques dans la négociation internationale. Il y a aussi des processus de partages d`expériences sur les stratégies du développement durable notamment avec la revue par les pairs. Il y a un système d`information qui s`appelle mediaterre.org avec un portail l’Afrique de l’Ouest dans lequel la Côte d’Ivoire est trop peu visible actuellement.

Donc il y a des réseaux et des communautés de travail. Les questions que j`ai essayées d’ébaucher devant vous se posent dans beaucoup de pays et il y a beaucoup de partages d`expériences en cours, dans lesquels la Côte d’Ivoire doit s’insérer.
Voilà, merci de votre attention et bons travaux.