Ouverture du séminaire Droits de l’Homme et responsabilité sociétale

Monsieur le ministre, excellences, mesdames, messieurs.

Je suis très heureux de pouvoir faire une intervention d’ouverture dans ce séminaire important.

Je tiens à rendre hommage aux organisateurs et notamment à Michel Doucin qui n’a pas compté son temps pour cette organisation. Enfin je m’adresse à l’ensemble des compétences réunies ici à Rabat.

Ce séminaire est un forum, c’est-à-dire un espace d’échanges entre plusieurs communautés qui devront se découvrir et construire un espace de coopération et d’échanges.
La francophonie a les droits de l’homme dans ces gênes. C’est bien donc à toute la communauté des pays ayant le français en partage, aux Commissions nationales et à l’ensemble des acteurs de ces pays de jouer un rôle dans la mobilisation des entreprises sur les Droits de l’Homme dans le cadre de la responsabilité sociétale.

Quelques points sur les Droits de l’Homme en préambule.

La France a participé à la formulation de l’essentiel des doctrines et des instruments internationaux dans le domaine des droits de l’homme. Elle l’a fait dans ses différentes étapes qui ont conduit à étendre la notion de droits de l’homme, à légiférer et créer les dispositifs nécessaires pour surveiller les violations de ces droits. Les réunions préparatoires de ce séminaire se sont tenues salle René Cassin, comme un hommage à celui qui a conduit, il y bientôt de 60 ans, les travaux de la déclaration universelle. Mais ce texte n’était pas un aboutissement, mais le début d’un processus. Dans l’esprit de Vienne en 1993, la France accorde aujourd’hui une égale considération aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels.

Enfin en inscrivant la Charte de l’environnement dans sa constitution au même niveau que les Droits de l’homme et du citoyen de 1789 et les droits économiques et sociaux du préambule de la constitution de 1946, la France a aussi contribué approfondir le lien entre les droits fondamentaux et l’environnement.

Pour avoir été au cœur de l’écriture de la charte dans la Commission présidée par le paléontologue Yves Coppens, je peux témoigner des difficultés rencontrées.
La Charte reconnaît notamment à chacun le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, et au devoir de contribuer à la préservation et à l’amélioration de l’environnement et, le cas échéant, contribuer à la réparation des dommages qu’il a causés. Cet équilibre droit et devoir retrouve l’un des objectifs de la déclaration de 1789, qui déclarait « afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs. » On le retrouve cette notion de devoir, mais sous une forme atténuée dans l’article 29 de la déclaration universelle.

Mais reconnaître ce nouvel apport aux droits de l’homme ne s’est pas fait sans difficultés. D’autant qu’elle introduit des références aux connaissances scientifiques. Soit, celles-ci sont certaines et elles doivent fonder la décision publique, soit, elles sont incertaines et la gravité du risque et son irréversibilité doivent conduire à appliquer le principe de précaution. Ce que certains juristes, dont les plus éminents, considéraient comme inacceptables de mélanger les ordres, toute référence aussi bien à Dieu qu’à toute conception philosophique ou scientifique devrait, selon eux, être écartée de la Constitution au nom du principe de laïcité. Alors que les droits de 1789, dans la suite des lumières « combattaient l’ignorance ». La Charte de l’environnement considère que l’information et l’éducation permettent justement d’exercer les droits et devoirs de la charte.

Au niveau international les débats sur le droit à l’eau peut aussi illustrer ce problème, à la fois l’extension des droits humains à un sujet environnemental, mais aussi l’importance de la connaissance. Le droit à une eau saine des objectifs du millénaire de 2000 a été complété en 2002 à Johannesburg par l’accès à l’assainissement. Ce second point essentiel avait été oublié, il n’y a pas d’eau saine sans assainissement.
Cet exemple me permet d’évoquer une question qui est aussi au cœur de nos interrogations c’est le rôle des approches volontaires, appartenant au champ de la normalisation. Le droit à l’eau progresse, mais l’une des façons de rendre effectif ces droits et objectifs politiques a été apportée par l’ISO. Des lignes directrices pour l’évaluation et la gestion des services d’eau potable et de l’assainissement (ISO/CD 24510, 24511 et 24512) ont été élaborées sous présidence française, elles font référence directement aux recommandations et programmes des objectifs du millénaire, du Sommet de Johannesburg et du 3ème forum de l’eau de Kyoto… Cet exemple illustre bien la place des processus de normalisation qui peuvent venir en renfort de principe de droit et non en affaiblissement. Ils doivent faciliter l’effectivité du droit. C’est cette logique qu’il faut encourager sur la RSE. Concrètement l’ISO 26000 dont le texte en discussion accorde déjà une bonne place aux Droits de l’homme, doit permettre d’en renforcer le déploiement, et non de faire écran aux évolutions futures du droit international en la matière.

Les droits fondamentaux font « système » et se renforcent mutuellement. Ce système pose des difficultés d’ordres conceptuel et sociologique. Par conceptuel, j’entends l’ordonnancement des principes et des droits et leur cohérence ; dans cet ordre conceptuel on considère la substance des droits. Par sociologique j’entends l’organisation des acteurs, les scènes de négociations et les réseaux qui en sont à l’origine ; dans cet ordre on considère plutôt les processus et les procédures.

La problématique posée par ce séminaire sur les Droits de l’Homme et la responsabilité sociétale devra trouver des réponses à ces deux niveaux.

Sur le plan de la substance, l’approche défendue par la France, qui trouve des échos au sein des pays francophones et en Europe, repose sur trois éléments :
– Le premier, considère que le caractère universel, indivisible et interdépendant des droits de l’homme, tient du rôle des institutions internationales multilatérales dans leur genèse. Il considère la nécessité de la consolidation de l’Etat de droit pour les faire progresser, plutôt que des approches catégorielles, mais en accordant une attention toute particulière au dialogue social.
– Second élément est que la responsabilité sociétale des entreprises ne peut se définir dans le seul cadre économique et des relations entretenues par les entreprises avec quelques parties intéressées, mais au contraire par une relation avec l’ensemble des composantes de la société organisée, ses institutions et bien entendu en rapport avec les principes universels… ;
– Troisième élément : la responsabilité sociétale est la contribution des organisations au développement durable, dans l’ensemble des composantes, elle contribue au développement économique et social et à la protection et la valorisation de l’environnement. Ces trois piliers sont interdépendants et doivent se renforcer mutuellement. La RSE apportant la méthode de cette intégration.

Sur le plan des processus, il est question de faire converger des communautés qui ont des histoires, des trajectoires et des référentiels différents.

Les Droits de l’Homme sont en effet le bien commun de l’Humanité et il revient à tous et à chacun de les faire vivre. La mobilisation pour les droits de l’homme ne saurait se limiter aux seules relations d’Etat à Etat, elle implique également une ouverture sur la société civile dans les pays concernés. Par société civile, on entend bien sur les associations et notamment celles qui militent au premier chef pour les droits de l’homme, mais aussi les milieux économiques et les entreprises, qui seront au centre de nos échanges ces trois jours.
Cette approche s’inscrit avant tout dans une tradition du dialogue social ; les premiers « accords-cadres internationaux » négociés entre des confédérations syndicales mondiales et de grands groupes industriels ont été des initiatives de pays francophones : Danone et Accor ont été historiquement pionnières en la matière. Le dialogue patronat-syndicats organisé par ces accords assure un contrôle effectif des engagements pris. Des démarches collectives de réflexion du monde patronal apparaissent : en 2000, en France un Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE) s’est créé, puis, en 2007, sous le haut patronage de Mme Mary Robinson, ancienne Haute Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unies, « Entreprises pour les Droits de l’Homme », un club d’entreprises a décidé d’analyser les « bonnes pratiques » de ses membres en matière de respect des droits de l’Homme à travers une « matrice » multicritères.

Les droits de l’homme sont une œuvre collective : les États, les collectivités locales, les entreprises, les syndicats, les médias et les ONG jouent sur la scène internationale, comme dans les espaces nationaux, des rôles complémentaires. J’y ajouterai volontiers, en écho avec mes propos sur l’eau, la communauté scientifique.

C’est dans cette perspective que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) tient une place importante dans les réflexions sur la régulation de la mondialisation dans un contexte de faiblesse des Etats dans le contrôle des entreprises

Le contenu de la responsabilité sociétale se débat sur différentes scènes de négociations : Nations Unies avec les grandes conventions, et le pacte Mondial, l’OCDE, le G8, des scènes privées GRI, ou mixtes comme l’ISO 26000.
Et c’est de la présence de la francophonie dans ces différentes scènes de négociation que nous devons organiser pour trois fins :
– la première pour faire valoir la spécificité de l’approche francophone dont nous allons mesurer la cohérence pendant ces 3 jours,
– la deuxième parce que la francophonie est un lieu de dialogue Nord/Sud qui garantit que la voix des pays en développement peut être entendue dans ces enceintes.
– la troisième par sa capacité politique, permettant à ses pays membres de veiller à la cohérence et à dégager les synergies entre des scènes de négociation qui sont en concurrence.

Mais nous avons à affronter une vision nord américaine fondée sur une approche morale, l’entreprise, selon cette conception, faisant le bien. Il faut au contraire considérer les conditions qui feront que l’entreprise a intérêt à s’engager dans la RSE. Pour cela les Etats ont aussi un rôle à jouer.

Il ressort une communauté de vision francophone sur le rôle de l’Etat en tant que fixateur du cadre de la RSE. La Belgique a, ainsi, adopté, en 2002 une loi sur les labels sociaux décernés aux produits importés du tiers monde basée sur les conventions de base de l’OIT. La France, avec la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques (dite loi NRE) a institué l’obligation pour les sociétés dont les titres sont cotés, de rendre compte, dans leur rapport de gestion, de la manière dont elles appréhendent les conséquences environnementales et sociales de leur activité, et une série de dispositions orientées vers la promotion de l’investissement socialement responsable a été aussi instituée. Au Maroc, pays qui nous accueille, le gouvernement est partie à la Charte sur la Responsabilité Sociale des Entreprises adoptée en 2007 par la Confédération Générale des Entreprises Marocaines avec l’aide du cabinet de certification VIGEO.

Les conventions et principes universels et leur mise en contexte dans des cadres nationaux doivent être juridique, mais elle doit aussi s’appuyer sur des processus de progrès comme les Stratégies nationales de développement durable, ou au niveau local les Agendas 21 qui associent les acteurs publics et la société civile. Ces cadres permettant la prise en compte de situations spécifiques, permettent une meilleure appréhension de sujets qui resteraient sans cela théoriques et offrent le cadre de la mobilisation.

C’est d’ailleurs la logique adoptée par la francophonie puisque le programme de travail de l’IEPF représenté porte à la fois sur les Stratégies nationales de développement durable et la responsabilité sociétale.

J’ai ouvert quelques pistes de réflexion. Ces trois jours devraient nous permettre de dégager un consensus et des axes de travail et de mobilisation concrets.