Villes et Territoires Durables et Intelligents, les enjeux stratégiques de la normalisation VV175

Valeurs Vertes avril mai juin 2023

Les normes ISO sont d’usage courant dans le monde économique. Consacrées à la technologie, elles ouvrent les marchés pour les innovations. Dans le domaine du management des entreprises, elles formalisent la qualité (ISO 9001) ou l’environnement (ISO 14001), en promouvant un système d’amélioration continue. La norme ISO 26000, sur la responsabilité sociétale des organisations, aborde le champ du développement durable, plus politique, en se référant aussi aux conventions et textes internationaux, sur les droit humains ou le travail par exemple.

La smart city : l’oubliée des collectivités

Des normes concernent les villes et les territoires, leur durabilité et leur usage du numérique : la smart city. Mais elles restent méconnues et sous-utilisées par les collectivités.

Pourtant elles permettent de répondre à des questions qui se posent au niveau local. Comment initier et mettre en œuvre des stratégies de durabilité ? Comment mesurer leur mise en œuvre et leur impact ? Quels indicateurs utiliser ? Comment concevoir les services et les infrastructures qui répondent aux défis climatiques, à l’accès aux ressources ou la protection de la biodiversité ? Comment combiner au niveau local la double transition numérique et environnementale ? Comment tirer parti des informations nouvelles pour améliorer l’implication des citoyens et la démocratie locale ? Comment organiser la ville intelligente, la smart city ? Comment déployer les nouvelles solutions numériques au service des citoyens ?

La variété de ces questions n’appelle pas une réponse unique mais des réponses cohérentes entre elles.

Les normes ne s’opposent pas au cadre juridique : elles le soutiennent.

Les normes ne s’opposent au cadre juridique, elles viennent en soutien, en apportant des méthodes et permettant des mises en œuvre concrètes.

L’exemple de la mobilité

La mobilité et les transports durables, peuvent servir d’exemple. De nombreuses solutions nouvelles et des innovations technologiques doivent s’insérer dans des systèmes d’infrastructures : par exemple le transport léger sur rail à pile à combustible ou les bus alimentés par des batteries qui font l’objet de normes techniques récentes… Ces normes permettent la création d’un marché et la diffusion de ces solutions techniques dans un marché souvent mondial.

Dans la logique de concevoir la mobilité comme un service, le numérique permet d’intégrer l’ensemble des systèmes de transport à travers des applications qui permettent aujourd’hui à l’usager le choix des itinéraires et la facturation unique. Cette simplicité repose sur une intégration des données, des protocoles de communication et une interopérabilité qui sont aussi l’objet de normes.

Mais l’organisation de la mobilité sur un territoire relève de politiques publiques locales. C’est la collectivité, qui délègue le fonctionnement des services aux opérateurs, qui planifie les infrastructures, qui intègre la mobilité dans sa politique d’urbanisme et d’aménagement du territoire, qui organise la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou la maitrise de l’étalement urbain. C’est la collectivité encore qui intègre la mobilité dans sa stratégie de développement en prenant en compte d’autres politiques : logement, alimentation, énergie, éducation, environnement…

L’importance des interrelations entre les politiques et entre les questions environnementales ne doit pas être négligée. Une focalisation unique sur le climat et l’énergie peut conduire à adopter des solutions qui ont des effets négatifs sur la biodiversité, les ressources, la santé ou la cohésion sociale. Les solutions adoptées doivent ainsi être écoconçues prenant en compte l’ensemble des questions environnementales et toutes les étapes de leur cycle de vie. Là aussi les normes apportent des outils.

La smart city, un outil séduisant pour les organisations nationales et internationales.

Du fait des relations entre les programmes et les impacts réciproques, les politiques locales doivent être abordées de façon systémique. Ce que ne permet pas la juxtaposition de politiques confiées chacune à un(e) adjoint(e), ou un(e) vice-président(e), et leurs services spécialisés.

Deux processus d’intégration peuvent renforcer la cohérence de l’action des institutions locales en dépassant l’approche en silo : un système de gouvernance et de management qui coordonne les décisions dans la perspective du développement durable, et un système d’information et d’évaluation appuyée sur le numérique.

C’est dans cette logique d’intégration que l’Organisation Internationales de Normalisation (ISO) a créé un comité technique villes et territoires durables (ISO TC 268) qui s’est doté de groupes de travail sur le numérique, la smart city. L’Europe a suivi, le Comité Européen de Normalisation a créé son comité le CEN TC 465. La France suit ces travaux au sein de la commission Villes et Territoires Durables et Intelligents (VTDI) de l’AFNOR

Sur le développement durable, la norme ISO 37101 porte sur la gouvernance et le management de la durabilité applicable aux stratégies, programmes et projets menés par les collectivités locales. Elle considère six finalités du développement territorial durable – l’attractivité, la préservation et l’amélioration de l’environnement, le bien-être, la résilience, l’utilisation responsable des ressources et la cohésion sociale – qui peuvent se traduire dans chacune des politiques.

Cette norme applique l’approche de l’amélioration continue. Des normes complémentaires s’adressent aux entreprises et portent sur la conduite des projets, infrastructures et services. Enfin des normes sur les indicateurs et la terminologie viennent compléter la boite à outil, l’ensemble formant un système cohérent.

Sur la ville intelligente, les normes plus techniques portent sur les composantes numériques des infrastructures et des objets connectés.

Ces documents donnent des orientations aux dirigeants des villes et aux acteurs des secteurs public, économique privé et citoyens sur la façon de développer un modèle de la ville durable et intelligent ouvert, collaboratif, centré sur le citoyen et pour leur ville. Le secteur public produit quotidiennement une grande quantité d’informations. L’ouverture de ces données peut contribuer au développement des villes, et des infrastructures municipales, tout en organisant la communication avec les citoyens.

Des modèles qui ne font pas consensus

Cette vision de la ville durable et intelligente n’est pas partagée. Des modèles différents de « smart cities » s’affrontent au niveau international.

Le modèle chinois répond à des impératifs de sécurité et de contrôle social, et vise une surveillance continue de la population. Le modèle nord-américain est fondé sur l’usage massif de données personnelles, collectées et exploitées par des acteurs privés.

Et enfin le modèle européen, inséré dans un système institutionnel démocratique, associe les citoyens et les parties prenantes dans le respect des données personnelles.

Ces modèles urbains sont déterminants sur la place qu’ils donnent à la technologie, notamment le remplacement des délibérations démocratiques par des outils automatisés comme l’intelligence artificielle. Dans les faits les normes considérées comme techniques ont une composante politique en consolidant un modèle plutôt qu’un autre.

Les villes et les territoires français devraient à la fois utiliser les normes déjà existantes pour permettre au développement durable de bénéficier de tous les bienfaits de l’accès à l’information, pour concilier transition écologique et numérique.

Ils devraient aussi participer à la normalisation pour que les normes répondent à leurs besoins. Pour l’instant les acteurs français de la ville ne se mobilisent pas à la hauteur de ces enjeux. Ils restent focalisés sur le seul niveau national. Les collectivités locales, les scientifiques, les associations et les administrations restent trop absents des commissions de normalisation et groupes de travail nationaux, en considérant sans doute que ces questions ne relèvent que des entreprises. Pourtant ils peuvent contribuer à ces réflexions en rejoignant la commission nationale AFNOR Villes et Territoires Durables et Intelligents (VTDI) qui organise la contribution aux normes et la présence dans les travaux de normalisation européenne du CEN et internationale à l’ISO.

Plusieurs textes sont en cours de rédaction au niveau européen qui peuvent les mobiliser : le jumeau numérique des villes qui intègre l’ensemble des données du territoire, la résilience des territoires, les solutions fondées sur la nature…