La transition écologique exige connaissance et intelligence collective, transfert d’expériences

Tribune du Monde

Christian Brodhag

Professeur émérite à l’école des Mines de Saint-Etienne, président du Pôle national écoconception et de Construction 21, ­ancien délégué interministériel au ­développement durable /2004-2008

Dans une tribune au « Monde » l’ancien délégué au développement durable explique que toutes les ressources de la science et de l’innovation doivent être utilisées pour changer de système, pas seulement les outils de la réglementation et de la fiscalité.

Tribune. La convention citoyenne pour le climat en France tout comme l’assemblée britannique pour le climat ont montré que des citoyens tirés au sort et informés comprenaient la gravité de la situation climatique, la nécessité d’un changement profond et formulaient des propositions qui se veulent ambitieuses. L’écart entre ces points de vue et l’opinion publique montre que la question centrale est l’information.

Des citoyens dûment informés par des scientifiques et des experts voient le monde autrement que leurs concitoyens informés uniquement par les médias et les réseaux sociaux. Le rôle des médias et des réseaux sociaux est pourtant essentiel. Dans les médias, les questions environnementales sont traitées par des journalistes spécialisés, mais les journalistes politiques ou économiques dont les commentaires forgent l’opinion publique sont en général ignorants de ces questions en les réduisant justement à une question d’opinion.

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Sous prétexte de la nécessaire confrontation d’opinions, les médias donneront la même parole à un climato-négationniste et à un membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. De même, sous prétexte d’objectivité démocratique, ils valoriseront les témoignages de citoyens dont les arguments sont objectivement contraires aux faits et aux connaissances établies.

Le rôle nécessaire de la science pour orienter les choix politiques

Les réseaux sociaux vont plus loin dans la déconnexion avec la vérité, en permettant aux rumeurs et aux fausses informations de prospérer et de recueillir plus de suffrages que les faits établis. Ils ne peuvent diffuser des connaissances dérangeantes. Les faits alternatifs et la « vérité alternative » servent de base à la démagogie populiste, qui est de dire ce que les citoyens souhaitent entendre.

Les médias « sérieux » ont mis en place une parade contre les médias sociaux : la vérification des faits, lefact-checking. Mais celui-ci ne va pas jusqu’à la vérification des faits et des connaissances scientifiques, il n’y a pas – ou peu – de « science-checking ». La crise due au coronavirus a montré à la fois le rôle nécessaire de la science pour orienter les choix politiques et ses limites quand la connaissance scientifique est en train de s’élaborer sur des faits nouveaux.

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La science est une institution faite de processus qui prennent du temps, et pas d’opinion d’individus, fussent-ils chercheurs confirmés. L’ivresse médiatique s’est emparée de médecins et de scientifiques, les conduisant à passer allégrement des hypothèses scientifiques légitimes à des affirmations péremptoires, ou des avis ne relevant pas de leur spécialité. L’infectiologue et le praticien clinicien sont confrontés à des faits et à des savoirs différents. La science met côte à côte des disciplines et des savoirs spécialisés.

La composition du GIEC

Ces questions se retrouvent dans la question climatique. Le GIEC est découpé en trois groupes, trois champs disciplinaires distincts. Le premier étudie les principes physiques du changement climatique et s’appuie sur des modèles. Le deuxième étudie les impacts, la vulnérabilité et l’adaptation au changement climatique ; il s’appuie notamment sur des sciences naturelles comme l’écologie, la géologie… Le troisième groupe étudie les moyens d’atténuer (mitigation) le changement climatique, et a été capté par deux disciplines : les politistes et les économistes.

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Ce sont ces disciplines qui ont été conviées à éclairer la convention citoyenne pour le climat sur les solutions. Les moyens proposés pour orienter le changement sont donc, en toute logique, la contrainte légale et les outils fiscaux. Quand vous ne disposez que d’un marteau, tout ressemble à un clou.

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Les spécialistes du changement dans leurs différentes composantes – sociologie, management ou innovation – n’ont pas été conviés, ni ceux qui développent les solutions de responsabilité sociétale, d’innovation, d’ingénierie, d’urbanisme et d’architecture.

Promouvoir une relance verte exige de s’appuyer sur les entrepreneurs et les solutions. Forts de statuts variés (entreprises privées, entreprises à mission, entreprises de l’économie sociale, professionnels, associations et collectifs de citoyens), de nombreux entrepreneurs témoignent de leur disponibilité pour agir dès maintenant, apporter des solutions, créer des emplois et contribuer à la relance globale.

La transition écologique et le développement durable exigent connaissance et intelligence collective, par les moyens de l’information, la formation, le transfert d’expériences, le partage des solutions et la coopération. Pas seulement de la réglementation et de la fiscalité.

Christian Brodhag est l’initiateur de la campagne pour une relance verte