Pétition de soutien des scientifiques à la Charte de l’environnement

Ce texte corédigé notamment avec Dominique Bourg et Olivier Godard a recu 500 signatures


« Nous, scientifiques et chercheurs, appartenant à l’université et à l’enseignement supérieur, aux organismes de recherche publics et privés ou à l’administration, affirmons la nécessité de renforcer les recherches dans le domaine de l’environnement et de mieux utiliser les connaissances scientifiques dans la conception des actions visant la protection et la gestion de l’environnement. Nous affirmons également que ces actions doivent prendre une nouvelle ampleur au regard des grands défis contemporains comme le bouleversement du climat de la planète et l’érosion de la biodiversité, sur lesquels les scientifiques français et internationaux ont attiré l’attention depuis de nombreuses années au vu des résultats de leurs travaux. Nous affirmons enfin notre engagement pour une éthique responsable de la science qui accepte le regard de la société et développe un dialogue avec elle.

C’est pourquoi nous considérons favorablement l’initiative de la Charte de l’Environnement qui vise à inscrire dans la Constitution les principes qui doivent inspirer l’action des autorités publiques en matière d’environnement, en particulier le principe de précaution, et les droits et obligations des agents économiques et des citoyens. Ces droits comportent notamment le droit de vivre dans un environnement qui ne mette pas la santé en danger et le droit d’accéder aux informations détenues par les autorités.

Nous considérons également que l’affirmation au niveau constitutionnel de ces principes, droits et obligations, n’est pas un frein mais un stimulant pour le développement des recherches scientifiques. S’agissant d’inventions et d’innovations techniques, cette affirmation doit conduire à accueillir avec davantage de prudence certains types d’application au regard des risques qu’ils peuvent présenter, tout en renforçant considérablement le besoin dans d’autres domaines de développement technologique. La réalisation d’un développement durable ne se conçoit pas sans une mobilisation de l’innovation technologique au service de la réduction de la pression humaine sur les systèmes écologiques et les ressources communes. Certaines activités scientifiques permettent de comprendre le monde et d’éclairer les effets de l’action ; d’autres sont davantage orientées vers la transformation du monde et l’invention. C’est par l’équilibre entre sciences éclairantes et sciences agissantes que nos sociétés pourront au mieux gérer les risques et exploiter les opportunités mises en évidence par la science et la technique. C’est enfin un équilibre entre sciences fondamentale et appliquée que les pouvoirs publics doivent soutenir.

Pour faciliter le passage à une action éclairée et responsable de la part de tous et de chacun, notre pays doit renforcer sa base d’informations et de connaissances dans le domaine de l’environnement, comme il a su le faire dans le champ économique après la seconde guerre mondiale. A cet effet :
– il doit renforcer la collecte des informations environnementales, dont celles éclairant les relations entre santé et environnement, en offrant des garanties quant à l’objectivité et à la traçabilité des données et à leur accès pour le public ;
– il doit renforcer la diffusion des connaissances scientifiques et innover dans les moyens permettant aux citoyens d’interroger la communauté scientifique et de faire connaître à cette dernière leurs préoccupations et leurs questionnements ;
– il doit mettre au cœur de la préparation des politiques de prévention et de précaution l’organisation rigoureuse du débat public et d’une expertise scientifique collective compétente, pluraliste, transparente et indépendante sur les grands risques collectifs.

L’enjeu que représente l’écriture d’un texte à portée constitutionnelle appelle un débat constructif et éclairé. La référence parfois impropre au principe de précaution de la part de citoyens, d’associations, de médias ou de responsables politiques, pour des situations qui n’en relèvent pas, ou les demandes sécuritaires excessives parfois abritées derrière ce principe, ne peuvent faire ignorer l’existence d’une doctrine et d’une jurisprudence européennes consistantes. Elles écartent à la fois l’illusion du risque zéro et tout fantasme de paralysie de l’innovation, tout en visant un haut niveau de protection de l’environnement et de sécurité des personnes. Loin de justifier l’abandon d’un principe de précaution proportionné, l’existence d’usages impropres de ce principe et d’une hésitation sur son contenu motive précisément la nécessité d’un meilleur encadrement juridique et appelle une organisation plus ferme des rôles et des procédures pour sa mise en oeuvre. Cette dernière doit permettre la prise en compte précoce de risques qui pourraient être graves et irréversibles, sans attendre de disposer de certitudes scientifiques, et simultanément le renforcement de la recherche permettant de lever au plus vite les incertitudes, de la veille permettant d’identifier les dangers et de l’expertise permettant d’évaluer les risques.

À l’orée du troisième millénaire, la responsabilité historique de notre génération dans la promotion d’un développement durable soucieux des intérêts des générations futures et des autres pays s’appuie sur trois éléments : la contribution de notre pays et de l’Europe à l’atteinte aux ressources communes de la planète, la disponibilité des informations et des connaissances fondant notre prise de conscience et enfin notre accès à la capacité technique et financière de trouver les solutions.
Cette responsabilité rend légitime le choix de proclamer des droits et des devoirs en matière d’environnement au sein du socle des valeurs fondatrices de notre nation et de notre république. »