Petit est magnifique et… durable. Ou comment le frugal peut contribuer à la transition. VV168

J’ai évoqué dans ma chronique précédente (Valeurs Vertes n° 167) l’innovation pour le développement durable et notamment l’innovation frugale. Le titre de la présente chronique est un clin d’œil au « Small Is Beautiful » d’Ernst Friedrich Schumacher (Schumacher F. E., 1973) (Schumacher E. F., 1979). Il critiquait l’économie du gigantisme et de l’automation comme « un résidu des conditions et de la pensée du 19ème siècle ». Il fallait selon lui un système de pensée entièrement nouveau, un système qui reposerait sur la prise en considération des personnes avant la prise en considération des biens : une « production par les masses, plutôt que production de masse ».

D’une façon plus concrète, que l’on peut qualifier de microéconomique, Schumacher promouvait le concept de « technologie intermédiaire » et créait en 1966 l’Intermediate Technology Development Group.

Cette approche trouve une place aujourd’hui dans un mouvement d’ensemble qui relève encore d’un patchwork de concepts, d’expériences et de références scientifiques très variées. Marlène Semaan (Semaan, Matt, & Mongo, 2021) a mené une étude bibliométrique de la littérature scientifique à ce sujet. Elle identifie trois grandes classes d’approches, qu’elle regroupe sous le vocable d’innovation en ressources limitées, ou innovation contrainte par la ressource :

  1. Le bricolage et l’effectuation, à travers entrepreneuriat social et des approches fondées sur l’accès aux ressources et leur valorisation
  2. L’innovation inclusive par la base de la pyramide, c’est-à-dire visant les besoins des plus pauvres, et fondée sur des technologies appropriées ou intermédiaires
  3. L’innovation frugale ou de rupture, considérant les processus d’innovation.

Ce sont les facettes de la même problématique, qui considèrent la base de la pyramide c’est-à-dire la population la plus nombreuse et les plus pauvres. Mais ces approches sont trop souvent considérées comme des options politiques, des affaires d’opinion.

Energies renouvelables et décentralisées

Or elles vont se développer de façon inéluctable pour des raisons purement matérielles. Le modèle du gigantisme est très lié au type d’énergie mobilisée. Le charbon, puis le pétrole et le nucléaire, ont conduit à la concentration du capital et de la décision. Les énergies renouvelables ne peuvent pas relever du même modèle pour des raisons purement physiques.

Les énergies renouvelables sont en effet directement liées au flux solaire et sa faible densité. La production énergétique est de l’ordre de 6,5 W/m2pour une centrale solaire thermique et 3 W/m2 pour une centrale photovoltaïque. En comparaison la densité de puissance d’une centrale nucléaire est proche de 1.850 W/m2.

Le sol est alors une composante essentielle de la production photovoltaïque. L’investissement sur les installations au sol se situent autour de 800 €/kWc voire pour les plus grandes 600 €/kWc alors qu’il avoisine 1.100 €/kWc pour les installations sur les bâtiments et les ombrières de parking (CRE, 2019). Mais cet écart ne permet pas de considérer les externalités. Raser une forêt pour créer une grande installation au sol a des effets négatifs sur le climat et la biodiversité.

Le jury Construction 21 vient de donner le grand prix des Green Solutions Awards dans sa catégorie infrastructures à la Solarisation de la métropole de Saint-Etienne (42) et à l’entreprise Green Yellow qui a entrepris d’équiper en cellules photovoltaïques les toits de 150 bâtiments de la métropole soient 200.000 m2. Ces 20 ha de panneaux solaires vont permettre à la Métropole de produire 33 GWh/an d’électricité, soit la consommation électrique (hors chauffage) de 12 000 logements, et d’éviter le rejet de 15 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. Ces 150 bâtiments, c’est 150 petits projets intégrés dans le bâti sans impact négatif sur le territoire ou les écosystèmes.

Economie circulaire locale

Mais la question de la densité ne concerne pas que l’énergie mais aussi les matériaux. Le rapport valeur économique rapportée au poids, conditionne la distance sur laquelle les matériaux peuvent être collectés et transportés de façon économique, que la ressource soit d’origine naturelle ou issue du recyclage. Les activités minières sont très concentrées sur le plan géographique et économique. En revanche le gisement pour le recyclage est disséminé sur le territoire et détenu par les nombreux acteurs à la base de la pyramide. Le recyclage des matériaux de construction très pondéreux est local. Les économies d’échelle liées à la taille des installations peuvent être perdues si l’on intègre les coûts de collecte et de transport. La question des transports n’est pas seulement liée à leur coût, mais aussi à leur impact sur l’environnement notamment l’effet de serre.

La question est aussi qualitative, plus les installations de recyclage sont grandes, moins elles contrôlent la qualité des entrées, dégradant ainsi le prix des matériaux recyclés, et l’économie du système.

L’entreprise Serge Ferrari qui conçoit, développe et fabrique des toiles composites innovantes pour des applications d’architectures légères et d’aménagements extérieurs, recyclait les textiles dans une grande usine qui ne trouve pas sa rentabilité. Le tonnage nécessité pour l’alimenter ne permet pas de garantir l’absence d’éléments indésirables et dégrade la qualité technique et sanitaire du matériau valorisé et donc son prix. Son patron Romain Ferrari vient de créer Polyloop, une start-up qui développe une unité de recyclage physico-chimique des composites base PVC intégrée dans un container capable de traiter 6 lots de 300kg/jour. Placée sur le site des usines utilisatrices, le strict contrôle de la qualité est possible et donc la valorisation. La faible taille est un avantage économique.

En économie circulaire des petites boucles courtes sont sans doute plus efficaces et plus économiques que des grandes.

De la même façon les matériaux biosourcés, comme ceux qui sont mobilisés dans l’isolation du bâtiment (paille, chanvre…), dépendent de pratiques culturales locales et de filières locales.

Le domaine de la construction qui contribue rappelons-le pour 40% à l’effet de serre est celui où les conditions locales sont déterminantes et donc les solutions frugales les plus adaptées à chaque contexte. C’est le sens de l’initiative d’Alain Bornarel, Dominique Gauzin-Müller et Philippe Madec qui a conduit plus de 12.000 professionnels du bâtiment et de l’aménagement du territoire issus de près de 90 pays, à signer le « manifeste pour une frugalité heureuse & créative pour l’architecture et les aménagements des territoires urbains et ruraux »[1].

L’économie circulaire et la gestion des ressources, la construction durable valorisant des matériaux locaux et des formes architecturales locales, les énergies renouvelables, les services tirés des écosystèmes…. Toutes ces solutions cruciales ont un point commun elles sont locales et de faible taille.

C’est la base de la pyramide.

Le propos n’est pas d’opposer high tech et politique industrielle d’un côté et low tech et innovation frugale de l’autre, elles se complètent et voire se combinent. Produire des cellules photovoltaïques efficaces et bon marché relève de l’industrie lourde, mais équiper les bâtiments de ces photopiles de solutions frugales et d’initiatives locales.

Ces solutions se déploient au niveau des communautés locales. C’est aux collectivités territoriales que revient le rôle de les promouvoir, de les organiser, mais aussi de les maitriser. La massification des solutions frugales locales ne sera pas sans impact, notamment dans la compétition pour l’usage des terres : agricole, énergétique, naturel et aménagement… Il conviendra notamment de renforcer les écosystèmes pour leur permettre de fournir l’ensemble des services que l’on attend d’eux.


[1] https://www.frugalite.org/

CRE. (2019). Coût et rentabilité du grand photovoltaïque en métropole. . Paris: Commission de la régulation de l’énergie.

Schumacher, E. F. (1979). Small Is Beautiful – une société à la mesure de l’homme. Contretemps / Le Seuil .

Schumacher, F. E. (1973). Small is beautiful: economics as if people mattered. Blond & Briggs.

Semaan, M., Matt, M., & Mongo, M. (2021). Resource-constrained innovations: three main innovation processes in developing countries. 3rd International Conference, Smart and Sustainable Cities. Lille, France.