Aidons les perdants de la transition énergétique

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La mise en œuvre d’une vraie politique environnementale suppose de financer l’adaptation de ceux qui en seront les victimes estime, dans une tribune au « Monde », l’ancien élu écologiste Christian Brodhag.

LA TRANSITION VERS UNE ECONOMIE ZERO CARBONE NE POURRA PASSER QUE PAR LA DIFFUSION MASSIVE D’INNOVATIONS TECHNIQUE ET SOCIALES

La canicule mondiale, la prolifération des incendies, les tensions sur les ressources en eau ou l’anticipation des périodes de vendange ont rendu tangible la question du changement climatique auprès de l’opinion publique. De nombreux commentaires dans les médias ont noté l’inévitable augmentation de la température et donc la nécessité de l’adaptation, tout en oubliant l’impérieuse nécessité de diminuer drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Comme le disait Nicolas Hulot en annonçant sa démission, on ne peut pas se limiter à des petits pas.

CONTRAIREMENT À L’IDÉE REÇUE, IL N’Y A PAS DE PROBLÈME DE LIMITE DES RESSOURCES FOSSILES. C’EST LA CAPACITÉ DE L’ATMOSPHÈRE À ABSORBER LE CO2 DÉGAGÉ PAR LEUR COMBUSTION QUI EST LIMITÉE

L’inertie des phénomènes climatiques fait que, même si l’on cessait d’émettre des gaz à effet de serre aujourd’hui, la température et le niveau des mers augmenteraient. Mais réduire les émissions aujourd’hui limitera les effets et l’importance de ces phénomènes. L’accord de Paris avait pour ambition de limiter cette augmentation à un niveau acceptable de 2 °C, voire 1,5 °C. Nous sommes loin de tenir ce cap.

Dans le même temps, les mêmes médias s’inquiètent de l’impact économique de l’augmentation du prix du pétrole, relayant les plaintes des automobilistes contre les hausses des prix du carburant, mais sans établir de lien avec les changements climatiques. Or, pour rester dans la limite des 2 °C, il ne faudrait consommer qu’un tiers des réserves prouvées de combustibles fossiles d’ici à 2050, selon l’Agence internationale de l’énergie (World Energy Outlook, 2012). Contrairement à l’idée reçue, il n’y a pas de problème de limite des ressources fossiles. C’est la capacité de l’atmosphère à absorber le CO2 dégagé par leur combustion qui est limitée.

Economies « shootées » au pétrole

Maintenir dans le sol les deux tiers des réserves identifiées et économiquement exploitables semble impossible pour des économies « shootées » au pétrole. La dynamique apportée par l’exploitation des gaz de schiste et le retour des Etats-Unis comme producteur de pétrole et de charbon grâce au négationnisme climatique de Donald Trump sont là pour le démontrer.

LA SURABONDANCE PÉTROLIÈRE NOUS EXPOSE, SUR LE LONG TERME, AU MAINTIEN DU PÉTROLE À UN PRIX PEU ÉLEVÉ

SOLUTIONS AMBITIEUSES

La transition vers une économie zéro carbone ne pourra passer que par la diffusion massive d’innovations techniques et sociales et par une gestion raisonnée de la « destruction créatrice » qui accompagnera inévitablement cette transition. Il s’agit, d’un côté, de maximiser la valeur créée par la transition et, de l’autre, de compenser les pertes en reconvertissant les perdants. Il ne s’agit pas de relancer le charbon, mais pas non plus d’ignorer la détresse des travailleurs du charbon et des régions minières. Depuis le Sommet de la Terre de Rio en 1992, une des conditions mises au développement durable est l’élimination des modes de production et de consommation non durables. Mais elle est restée lettre morte.

Cette transition doit s’appuyer sur deux volets : informer sur les solutions, financer les acteurs, mais aussi les perdants, de la transition. L’accès aux connaissances sur les meilleures solutions, la formation des professionnels et des décideurs (les élus notamment) constituent un volet essentiel relativement peu coûteux, qui reste pourtant négligé par les politiques mises en œuvre. Il existe en effet de nombreuses solutions énergétiques innovantes déjà rentables.

Mais l’adoption de solutions encore plus ambitieuses ne sera possible qu’en augmentant le prix du carbone. Or la surabondance pétrolière nous expose, sur le long terme, au maintien du pétrole à un prix peu élevé. Aujourd’hui, le prix payé par les consommateurs est la somme des coûts de production, de la rente minière du pays producteur et de la rente fiscale des pays consommateurs (TIPP et taxe carbone en France).

« ACCORD DE LA LIGNE VERTE »

La régulation mondiale du climat et la diminution de l’usage des énergies fossiles passent par l’augmentation régulière du prix des combustibles d’origine fossile, et donc par une négociation sur le partage et l’affectation de la rente ainsi créée.

EN INVESTISSANT MASSIVEMENT DANS LES ALTERNATIVES AUX COMBUSTIBLES FOSSILES, ON POURRA DÉCOUPLER LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DE SA PRESSION SUR L’ENVIRONNEMENT

Il faut consacrer ces rentes à trois objets. Les deux premiers sont déjà inscrits dans les textes internationaux et les objectifs du fonds carbone : « l’atténuation », c’est-à-dire les investissements permettant de diminuer les émissions et d’adapter économies et infrastructures au changement climatique. Une troisième partie devrait être consacrée à l’accompagnement à la reconversion des victimes (pays, régions, entreprises, individus…) de la destruction créatrice qui accompagne cette transition.

Il paraît impossible de mettre en place ce système dans l’ensemble des pays. Mais il pourrait l’être dans le cadre d’un accord multilatéral, que l’on pourrait appeler « accord de la ligne verte ». D’un côté, les pays qui adoptent ce système de compensation, de l’autre, ceux qui refusent cette régulation du carbone, et dont les produits seront taxés. Une taxe aux frontières de l’Europe avait été inscrite dans la stratégie française de développement durable en 2007, mais elle n’a jamais été portée par les gouvernements suivants.

Cette politique doit être conçue comme une approche apte à faciliter la transition. Une prime aux premiers entrants pourrait faciliter la mise en œuvre. En investissant massivement dans les alternatives aux combustibles fossiles, on pourra découpler le développement économique et social de sa pression sur l’environnement.

Christian Brodhag

Président de « Construction 21 », média social international consacré à la construction et à la ville durables,

Christian Brodhag a été délégué interministériel au développement durable de 2004 à 2008.

 

 

 

2 Replies to “Aidons les perdants de la transition énergétique”

  1. […] dans le journal Le Monde  « Aidons les perdants de la transition énergétique » (copie sur ce site) développe des thèses sur lesquelles j’ai engagé la réflexion depuis près de 30 ans. […]

  2. Christian Brodhag dit :

    Voir un document complémentaire de contexte Historique du débat sur les rentes et la taxe carbone aux frontières : http://www.brodhag.org/climat-et-petrole/

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