Deux obstacles majeurs viennent limiter les politiques environnementales notamment climatiques : le négationnisme et la duplicité.
La chronique de Christian Brodhag . Valeurs Vertes N°157
Le négationnisme est le fait de nier la réalité de l’ampleur du changement climatique et de la crise écologique telle qu’elle a été établie par les connaissances scientifiques.
On qualifie traditionnellement de climato-sceptiques ceux qui nient le changement climatique. Il faut aujourd’hui requalifier ce terme par climato-négationnistes.
En effet le scepticisme est une posture intellectuelle qui consiste à ne rien admettre sans preuve et à réserver son jugement tant que la preuve fait défaut. C’est une composante positive de la recherche scientifique, qui organise le passage du statut d’hypothèses à celui des faits scientifiquement établis.
la question des changements climatiques a fait l’objet d’une convention en 1992 les connaissances scientifiques en étaient à leurs début, il était alors légitime de parler de climato- sceptiques et d’en appeler à l’application du principe de précaution.
25 ans et 5 rapports du GIEC après, les connaissances sont maintenant clairement établies, les nier ne relève plus du scepticisme mais du négationnisme. Nous avons en effet aujourd’hui dépassé ce stade où les données scientifiques seraient encore incertaines. Mais si aujourd’hui les observations nous démontrent que les changements climatiques sont bien réels, ce sont les données scientifiques et les modèles qui en mesurent l’ampleur. Il s’agit de prévention et non plus de précaution.
Pourquoi utiliser ce terme de négationnisme à fort contenu politique ? De la même façon que nier le processus d’extermination alors que les faits sont établis et que les historiens les ont parfaitement décrits, est un délit, le négationnisme climatique devrait être lui aussi être dénoncé comme une idéologie anti-science dangereuse.
Une enquête de la Fondation Jean Jaurès et de Conspiracy Wach montre que seulement 65% des Français pensent « que le changement climatique est un problème causé principalement par l’activité humaine». Un tiers des Français se range dans le camp des négationnistes et 25% considèrent qu’on ne sait pas encore clairement si le réchauffement climatique provient de l’activité humaine ou des rayonnements solaires. Cette dernière opinion est partagée par 36% des plus de 65 ans. La thèse conspirationniste : « Le réchauffement climatique n’existe pas, c’est une thèse avant tout défendue par des politiques et des scientifiques pour faire avancer leurs intérêts » réunit tout de même 4% des Français mais plus de 10% dans l’électorat de Debout la France ou du Rassemblement National.
La même étude montre que 9% des Français pensent que la Terre est plate, et non pas ronde, et ce ratio atteint même 18 % pour les 18-24 ans.
La question n’est plus de croire en l’existence ou non de l’origine humaine des changements climatiques mais de considérer son ampleur et l’ensemble de ses conséquences telles que diagnostiquées par le GIEC. Considérer le maximum des 2°C de réchauffement voire 1,5°C est en effet à la fois un diagnostic scientifique et l’engagement politique qui en a été déduit dans l’accord de Paris. Les responsables politiques peuvent accepter l’origine humaine du changement climatique mais nier leur traduction concrète
La question du négationnisme touche aussi la biodiversité dont la dégradation est autant préoccupante que celle du climat. Il faudrait donc parler plus généralement de négationnisme écologique, d’éco-négationnisme, c’est-à-dire nier les connaissances scientifiques qui établissent l’ampleur de la crise écologique, l’analyse des causes comme des effets.
L’accès aux connaissances scientifiques des citoyens et des élus, et leur prise en compte dans les politiques publiques restent un enjeu fondamental de démocratie. Les enjeux privés ne peuvent pas prendre le pas sur les intérêts publics. C’est pourquoi le récent jugement du Tribunal de l’Union européenne sur le Glyphosate est très important. Il conclut que : « La divulgation des informations qui ont trait à des émissions dans l’environnement (.. ) est réputée présenter un intérêt public supérieur par rapport à l’intérêt tiré de la protection des intérêts commerciaux. »
Un second obstacle : la duplicité des politiques
En la matière, la duplicité politique consiste à affirmer une volonté de lutter contre les changements climatiques ou d’arrêter l’érosion de la biodiversité et de mener simultanément des politiques qui contribuent à augmenter les émissions et à dégrader les écosystèmes. A tous les niveaux, national, régional et local, des plans sont adoptés, dans lesquels un discours offensif est tenu et des objectifs ambitieux sont affirmés.
Mais ces plans listent des actions qui ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées. Elles sont symboliques et sont ce que Nicolas Hulot qualifiait de petits pas. Elles donnent des gages mais ne permette nt pas d’atteindre les objectifs affichés. On se limite au régime de la croyance et de la bonne conscience, de l’achat de quelques indulgences plénières. C’est vrai au niveau national comme local.
Le Plan Climat de Saint-Étienne Métropole envisageait de réduire de 20% les émissions de gaz à effet des transports entre 1990 et 2020, en 2015 elles avaient augmenté de 21 %, sans que cela n’émeuve quiconque, et que l’on adopte un nouveau plan sur les mêmes bases. Dans le même temps les élus se mobilisent pour que la mobilité entre Saint-Etienne et Lyon repose sur une nouvelle autoroute. Les régions Rhône-Alpes et Auvergne fixaient dans le Schéma Régional Climat Air Énergie (SRCAE) des objectifs en matière d’énergie renouvelable.
La région ARA n’atteint en décembre 2018 que la moitié des objectifs 2020 tant pour le solaire photovoltaïque que l’éolien. Qu’à cela ne tienne le Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable, et d’Égalité des Territoire (SRADDET) qui intègre les différents plans précédents, déchets, biodiversité … , et les SRCAE sur le climat, reprend des engagements ambitieux. Mais aucun bilan, aucune analyse n’est menée pour identifier ces écarts et analyser les· causes pour y porter remède. Le SRADDET reprend la même logique, il obtiendra les mêmes résultats. Ces plans prévoient des actions additionnelles, sur lesquels en général les financements font le plus souvent défaut puisqu’ils alourdissent les dépenses publiques. Mais ces plans n’envisagent pas l’arrêt des activités qui ont des effets négatifs. Les mêmes autorités publiques engagées dans ces plans vont par ailleurs soutenir et financer des activités contraires aux objectifs affirmés. C’est ainsi que les pays vont encore massivement subventionner les énergies fossiles tout en affirmant vouloir développer les énergies renouvelables.
Cette question est ancienne, le 8ème principe adopté par la Conférence de Rio en 1992 énonçait déjà : « Afin de parvenir à un développement durable et à une meilleure qualité de vie pour tous les peuples, les États devraient réduire et éliminer les modes de production et de consommation non viables ». Or on ne les élimine pas.
Cette contradiction est en fait parfaitement consciente, c’est pourquoi on peut parler de duplicité.
Les plans et programmes sont dès l’origine conçus pour ne pas être réalisés, et les orientations politiques dominantes du passé continuent sans en être affectées.
Le négationnisme et la duplicité politique pourraient être surmontés par deux éléments clés : L’acceptation par les politiques et les autorités publiques d’intégrer dans leurs choix l’analyse des autorités scientifiques.
C’est-à-dire que les faits et les connaissances scientifiques doivent avoir un poids supérieur à celui de l’opinion publique, des sondages et … des réseaux sociaux.
L’engagement politique sur des résultats et pas seulement sur des moyens et mettre en place des processus d’évaluation à la fois experts et participatifs. En apportant des données et des analyses scientifiques aux citoyens, cette évaluation participative pourrait jouer un rôle d’éducation populaire et permettre une démocratie éclairée et efficace.
Le grand débat est à cet égard une opportunité manquée.