Négawatts, négalitres, négatonnes : l’écoconception pour réduire l’empreinte écologique VV159

L’association négaWatt a utilisé ce néologisme pour marquer l’importance d’exploiter le gisement des économies d’énergie, autant que celle de consommer de l’énergie, c’est à dire des mégaWatts. Le même raisonnement pourrait être tenu dans d’autres domaines en concrétisant les économies d’eau en négalitres, et les économies de matière en négatonnes. Le découplage de la croissance économique et de la pression sur les ressources, doit intégrer la valeur créée par cette approche Néga.

Les Watts négatifs, c’est-à-dire non-consommés, ont un impact environnemental bien inférieur à la production d’énergie. Il est d’usage de dire que la seule énergie qui ne pollue pas est celle qu’on ne consomme pas. Mais les économies d’énergie, comme d’ailleurs les énergies renouvelables, ont des impacts environnementaux quand on intègre ceux des matières premières, de la construction, du déploiement et du fonctionnement des installations. Toutes ces étapes vont consommer des ressources et entrainer des pollutions et des nuisances. Elles ne peuvent donc être considérées sous le seul angle de la contribution carbone, mais de l’ensemble des impacts.

La question énergétique a deux versants celui de l’offre et celui de la demande. Il y a une forte asymétrie entre l’accès de la face offre d’un côté et la face demande de l’autre. Du côté de l’offre il y a des entreprises spécialisées, des secteurs économiques bien identifiés, des flux financiers d’investissement et des marchés. Du côté de la demande la question est plus complexe il s’agit de l’ensemble des secteurs économiques et des individus qui peuvent exploiter le gisement d’économie d’énergie. Mais pour ces acteurs, l’énergie est un sujet parmi d’autres, qui s’intègre dans un ensemble des questions, il est souvent secondaire et donc oublié.

Les politiques publiques mettent en place des réglementations, des normes et des taxes pour réguler le marché de l’énergie. L’écotaxe qui cible plus précisément les énergies carbonées, joue sur le mécanisme du marché en augmentant le prix elle incite à moins les consommer. Les certificats d’économie d’énergie contraignent les fournisseurs d’énergie à générer des économies d’énergie. Ce dispositif change leur modèle économique en l’orientant vers le service apporté. Sous l’angle de la prévention, la directive européenne de 2009, dite écoconception, établissait un cadre pour la fixation d’exigences en matière d’écoconception applicables aux produits liés à l’énergie. Bien que la directive considère l’ensemble du cycle de vie et l’ensemble des impacts environnementaux, son application a principalement visé la consommation d’énergie à l‘usage : il s’agit de l’écoconception pour l’énergie.

Après avoir été mobilisée sur l’énergie, l’écoconception est aujourd’hui promue et intégrée dans le cadre de l’économie circulaire. L’écoconception des produits et des procédés est ainsi un des sept piliers de l’économie circulaire telle que les définit l’ADEME, les six autres étant  l’extraction/exploitation et les achats responsables, l’écologie industrielle et territoriale, l’économie de la fonctionnalité, la consommation responsables, l’allongement de la durée d’usage, le recyclage.

Mais la plupart des moyens de la mise en œuvre de l’économie circulaire se concentrent sur l’aval et le bouclage des cycles de matière grâce au recyclage.

Le principe communautaire dit de « responsabilité élargie du producteur » (REP), rend les producteurs totalement ou partiellement responsables des déchets issus de la fin de vie des produits qu’ils mettent sur le marché. Pour remplir cette obligation, ils peuvent mettre en place un système individuel de gestion et recyclage approuvé par l’État ou adhérer à un éco-organisme et acquitter une « éco-participation ».

Alors que la gestion des déchets, a mobilisé en 2013 plus de 10 Md€[1], les budgets cumulés des éco-organismes représentaient la même année 1,19 Md€.

Dans le cadre de l’économie circulaire, les pratiques nouvelles promues par les éco-organismes, vont de la conception des produits appelés à devenir des déchets recyclables jusqu’au geste de tri du consommateur final. 91 % du budget des organismes ont été mobilisés pour soutenir des actions de collecte, de tri et de valorisation, 5,5 % pour assurer le fonctionnement des éco-organismes et 3,5 % pour des dépenses de communication. Moins de 2 % du chiffre d’affaires des éco-organismes a été consacré au soutien à l’écoconception qui fait partie de leur mission, ce qui représentait au maximum 20 millions €.

Les pouvoirs publics ont fixé aux éco-organismes des objectifs de collecte et de traitement dont la mesure est principalement le taux de recyclage. Sur le plan qualitatif un système d’éco-modulation vise, à travers les barèmes de l’éco-participation et des systèmes de bonus-malus, à pénaliser les emballages lourds ou volumineux, ainsi que les éléments dits perturbateurs et en général les obstacles au recyclage. L’intégration de l’écoconception dans une économie circulaire concentrée sur l’aval, la limite à l’objectif de maximiser le recyclage et le flux de matière recyclée et non réduire la quantité, il s’agit d’une écoconception pour le recyclage.

Cette question de l’offre et de la demande se trouve dans tous les domaines des ressources.

La disponibilité de l’eau est mise en péril du fait du changement climatique. Dans le domaine agricole la réponse est celle de multiplier les infrastructures d’offre : forages profonds, retenues collinaires, barrages… Ces solutions renforcent la tension sur l’accès à l’eau. La réponse du côté de la maîtrise de la demande peut se situer à deux niveaux. Le premier niveau celui de la technologie permettant d’augmenter l’efficacité de l’usage de l’eau, l’irrigation au goutte à goutte en est l’exemple. Le second niveau est celui le type de culture, les espèces cultivées, les variétés et les pratiques agricoles visant à limiter l’évaporation. Ces questions plus stratégiques sont liées à la résilience du système alimentaire et son adaptation aux changements climatiques.

Dans un autre secteur, la construction, la feuille de route de l’Alliance mondiale pour le bâtiment (www.globalabc.org/) qui vise la neutralité carbone en 2050 considère que le tiers des diminutions repose sur les matériaux utilisés, ce qui connecte l’énergie et le climat avec l’économie circulaire. L’usage joue aussi un rôle essentiel. Cube (cube2020.org/) le concours d’économie d’énergie organisé pour les bâtiments tertiaire existants démontre des résultats édifiants. La plupart des économies réalisées uniquement par le management dépasse les 20% d’économie d’énergie, le champion atteint même 39%. La fin de vie des bâtiments, n’est pas seulement la destruction et le recyclage de la matière, c’est aussi la réhabilitation et le changement de l’usage. Il s’agit là aussi d’intégrer, dans la conception l’ensemble cycle de vie du bâtiment : matériaux, chantiers, fonctionnement, usage et fin de vie.

L’écoconception n’est donc ni limitée à l’énergie ni à la gestion du recyclage, elle doit pouvoir être mobilisée dans l’ensemble des secteurs, et viser la diminution de l’ensemble des pressions sur les ressources et des impacts sur l’environnement dans une perspective de cycle de vie. La structure de ce cycle diffère selon les secteurs depuis l’extraction des matières premières et de l’énergie, à la gestion de la fin de vie, en passant par les transports, la transformation et la fabrication de biens, l’emballage, la logistique et enfin l’utilisation.

L’écoconception vise aussi la création de valeur et l’innovation. Il s’agit donc de faire mieux avec moins, et donc intégrer une approche Néga, créatrice de valeur et de profitabilité pour l’entreprise. [2]

Chaque secteur et chaque entreprise tirerait bénéfice de mener un diagnostic de ses potentialités et modifier ses produits et services.

Le Pôle écoconception a développé les outils et méthodes pour mener cette démarche qui se développe selon trois axes :

  • la pensée en cycle de vie pour innover et concevoir le produit ou le service, c’est une étape de réflexion stratégique
  • l’évaluation des performances sur le cycle de vie, qui permet de mesurer les impacts et de faire des choix entre les options possibles,
  • la mise en œuvre par le management en cycle de vie, pour agir en créant notamment de la valeur avec les autres intervenants dans le cycle de vie, c’est-à-dire une chaine de la valeur liée à l’environnement.

Loin du débat sur l’écologie punitive, une écologie profitable est possible dès qu’elle s’intéresse aux solutions concrètes.


[1] La Cour des Comptes évalué les organismes dans son Rapport public annuel 2016 en s’appuyant sur des chiffres de 2013

[2] Naciba Haned, Paul Lanoie, Sylvain Plou, Marie-France Vernier. 2014 La profitabilité de l’écoconception : une analyse économique.  Publication Institut de développement de produits Montréal (IDP) et Pôle Éco-conception et Management du Cycle de Vie Saint-Etienne