Pour une rénovation environnementale massive et profonde des bâtiments.[1] VV166

La Commission Européenne a fixé un objectif renforcé de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 ; contre 40% auparavant. Dans domaine du bâtiment qui contribue pour 40% des émissions de gaz à effet de serre, l’objectif européen est une réduction de 60 %. Vu le rythme de la construction neuve la rénovation est cruciale. 85 % du parc immobilier de l’UE, a été construit avant 2001 et 85 à 95 % des bâtiments qui existent aujourd’hui, existeront toujours en 2050.

Le budget voté permettra de financer le programme publié le 14 octobre « Une vague de rénovations pour l’Europe : verdir nos bâtiments, créer des emplois, améliorer la qualité de vie » permettant d’atteindre cet objectif de réduction et de créer 160 000 emplois verts supplémentaires dans le secteur de la construction.

En France la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) vise un objectif de rénovation de 3% du parc tertiaire par an et 500 000 rénovations de logements en moyenne par an avec plus de 700 000 rénovations/an après 2030. Les objectifs sont aussi sociaux en visant l’éradication de la précarité énergétique par la rénovation des « passoires thermiques » d’ici le 1er janvier 2028.

L’instrument de relance européen Next Generation EU mettra à disposition un volume sans précédent de ressources pour la rénovation en vue de doubler le rythme de rénovation et privilégier des rénovations lourdes et profondes. Aux financements européens se rajoutent les financements nationaux. En France par exemple 6,7 milliards du programme de relance seront consacrés à la rénovation des parcs publics et privés.

Les moyens sont-ils à la hauteur de ces objectifs ?

La faible performance de la majorité des rénovations menées jusque-là démontre les limites des approches politiques et règlementaires. Si 11% du parc immobilier existant de l’UE fait l’objet d’un certain niveau de rénovation chaque année, seulement 1% porte sur la performance énergétique des bâtiments et seulement 0,2 % portent sur des rénovations lourdes, celles qui réduisent la consommation énergétique d’au moins 60 %.

Tenir la promesse globale de 60% implique une profonde évolution des approches, une transition qui s’appuie sur des innovations à tous les niveaux, des techniques, des processus, des modèles économiques et des outils politiques qui permettent une réduction radicale des coûts de la tonne de carbone économisée.

Le programme européen ébauche des pistes nouvelles, sur le champ concerné tout d’abord. Le programme de rénovation européen ne vise pas seulement des bâtiments plus économes en énergie, mais aussi des bâtiments résilients aux changement climatique et qui réduisent leur intensité de carbone sur l’ensemble de leur cycle de vie c’est-à-dire intègre les matériaux et l’énergie utilisée. Cette vision rejoint celle de la feuille de route zéro carbone 2050 de l’Alliance Mondiale pour le Bâtiment (GABC), qui considère que les interventions sur l’enveloppe (généralisation des bâtiments à énergie positive pour le neuf et rénovation profonde pour l’existant) ne participent que pour un tiers de l’effort, et que les deux autres tiers se répartissent en parts presque égales entre les matériaux et la fourniture d’énergie bas carbone.

En France la nouvelle norme RE2020 concernant le neuf intègre le cycle de vie dans le bilan carbone, mais la politique française sur la rénovation reste pour l’instant cantonnée à l’énergie et ignore l’empreinte carbone et à fortiori l’empreinte écologique.

L’approche Européenne connecte ainsi les dossiers climat et économie circulaire et vise à « adapter l’écosystème du secteur de la construction à la rénovation durable, sur la base de solutions circulaires, de l’utilisation et de la réutilisation de matériaux durables et de l’intégration de solutions fondées sur la nature ». Pour cela l’Europe veut faire jouer un rôle majeur aux territoires.

Le cloisonnement administratif français a conduit jusque-là à des approches politiques et juridiques séparées du climat, de l’économie circulaire et de la biodiversité, alors que ces questions sont liées sur le terrain et doivent s’intégrer dans les solutions concrètes.

Ces orientations et les outils de financement prévus conduisent les entrepreneurs et les projets à relever des défis économiques et techniques.

Une approche économique positive

Les rénovations actuelles, souvent limitées au volet énergétique, ne sont pas assez profondes, et restent souvent coûteuses avec des temps de retour très longs. La question du coût de cette ambition de performance est centrale, elle doit être abordée à deux niveaux : la réduction des coûts et la création de valeur.

La réduction des coûts, grâce à l’innovation et la diffusion de solutions frugales et technologies performantes, des solutions passives et actives. Des processus d’industrialisation comme EnergieSprong réduisent les coûts au point d’envisager à terme de se passer de subvention. Des approches territoriales et de l’ingénierie financière devraient permettre de baisser les coûts de transaction et mutualiser les coûts. Des approches de type conception-réalisation-exploitation-maintenance (CREM) contribuent à la maîtrise des coûts sur le cycle de vie.

La création de valeur, en ne visant pas seulement les économies sur la facture énergétique mais en intégrant la rénovation dans un processus de création de valeur, notamment la valeur d’usage. La rénovation améliore le confort – réduction des nuisances sonores ou bonne qualité de l’air à l’intérieur – qui s’avèrent facteur de productivité dans le secteur tertiaire. La rénovation profonde peut aussi conduire à l’augmentation des surfaces ou des fonctionnalités des bâtiments. Les mutations postcovid et la réorganisation par le travail à distance conduira les entreprises à diminuer les surfaces et requalifier leur parc immobilier, à des hybridations logement et activités.

Enfin la création de valeur doit être envisagée sur le cycle de vie en valorisant la qualité d’usage et des innovations en matière d’usage. Des modèles d’économie de la fonctionnalité peuvent y contribuer.

La normalisation type BBC ne peut répondre à toutes ces questions.

Une approche systémique impliquant des compétences élargies

La rénovation profonde et performante d’un bâtiment existant, ne peut se satisfaire des mesures ponctuelles financées jusque-là. Elle nécessite d’adopter une approche globale et systémique, la mise en œuvre d’un audit énergétique, de définir un scénario de travaux, pour combiner des solutions spécifiques, mais aussi de prendre en compte les connaissances sur patrimoine bâti et données de l’environnement et des ressources et matériaux locaux.

Du fait du poids du coût du foncier, c’est à l’échelle collective des villes et des quartiers qu’il faut aussi raisonner. La densification des quartiers d’habitat pavillonnaire peut financer des réhabilitations collectives. Dans les villes, la surélévation de bâtiments peut être intégrée dans un programme de rénovation profonde du bâtiment ou du quartier. Une approche par quartier permettrait de combiner rénovations, destructions/reconstructions, développement de services, notamment de transports collectifs. Un modèle économique permettant d’affecter la création de valeur et les rentes foncières aux travaux, allié à une standardisation des procédures (permis de construire et aides), des approches (industrialisation) et des connaissances des spécificités locales.

La Commission européenne considère que la rénovation est aussi un projet culturel pour l’Europe et doit combiner style et durabilité. A cet effet l’Europe va créer un nouveau Bauhaus européen, un espace de cocréation dans lequel les architectes, les artistes, les étudiants, les ingénieurs, les designers travaillent ensemble. Cette approche vise à rendre ces évolutions désirables en les faisant sortir des seules équations économiques et énergétiques.

Chacune des époques en effet, l’habitat vernaculaire, les bâtiments historiques, ceux construits au XIXème siècle comme dans les années 50 et 60… a utilisé des matériaux, adopté des formes constructives, des styles, qui demandent des approches spécifiques de rénovation.

C’est un processus de personnalisation de masse qui est nécessaire. C’est-à-dire des approches standardisées bénéficiant d’économie d’échelle qui soient capables de s’adapter à chaque demande individuelle.

C’est pour accompagner ces évolutions que Construction21 France lance un programme d’intelligence collective sur la rénovation tout au long de l’année 2021.


[1] Une version précédente de cet article est parue sur Construction21