Présidentielles. Quel candidat pour la nouvelle gouvernance ?

Les rapprochements politiques qui s’inscrivent dans le sillage de Jean-Pierre Chevènement, apparaissent facilement comme un de ces errements politiques que réserve toute campagne électorale. Comment en effet comprendre ces ralliements issus de tous les horizons de l’échiquier politique ? sinon dans l’habileté d’un homme politique qui a fait de la démission un acte fondateur politique, la preuve ultime du désintéressement. Il serait facile d’en conclure que les électeurs manipulés ont tort, comme ceux qui votaient ou votent encore pour le Front National. Il serait tentant de considérer que ces épiphénomènes n’affectent qu’à la marge le véritable débat, le seul qui compte, le débat binaire qui mettra face à face deux candidats au second tour des présidentielles, l’un à droite l’autre à gauche.

Non ! le phénomène Chevènement est plus profond. Michel Rocard a raison de dénoncer dans les colonnes du Monde le nombrilisme français, l’incompréhension de la place de la France dans le monde, mais il ne va pas assez loin dans l’identification des causes. Celles-ci sont au cœur même de l’exercice du pouvoir. Certes les principes fondateurs républicains, la liberté l’égalité et la fraternité, sont plus que jamais d’actualité, mais ces principes se sont incarnés historiquement dans des institutions qui sont aujourd’hui dépassées. Depuis le siècle des lumières, et les références mécaniciennes et cartésiennes qui ont fondé l’appareil d’Etat et ses corps au-dessus de la mêlée, les connaissances ont évolué avec notamment les sciences biologiques ou la sociologie des organisations. La circulation généralisée de l’information accélérée par Internet modifie profondément les échanges et les pouvoirs dans la société. Enfin, la mondialisation non maîtrisée nourrit la légitime revendication de l’émergence de pouvoirs locaux et régionaux. Le contexte de la construction européenne, inéluctable mais insuffisamment portée politiquement, rajoute à la déstabilisation de l’équilibre des pouvoirs publics où devraient s’incarner le bien commun.

Le pôle républicain peut se ressourcer dans l’Histoire, reprendre les lunettes révolutionnaires, celles de l’époque où la patrie en danger se mobilisait pour défaire les féaux provinciaux alliés aux ennemis européens. On peut goûter le romanesque d’un Don Quichotte moderne qui bataillerait contre les ailes du moulin de Valmy. Mais l’Europe et les régions sont des espaces démocratiques, certes imparfaits et en devenir, ce ne sont pas l’empire et les provinces de l’ancien régime. La maîtrise politique de la mondialisation est à peine balbutiante. Le chantier est immense, mais les batailles perdues sont celles que l’on ne livre pas, où que l’on livre sur les mauvais champs de bataille.
Deux questions principales se posent en effet en ce début de XXIème siècle : celle de la maîtrise de la mondialisation économique ultra-libérale et celle du développement durable. L’une et l’autre touchent à l’essence du pouvoir politique et à la mise en œuvre de stratégies collectives. L’année 2002 est celle où Davos s’interroge et fait état de doutes à New York, c’est celle où Porto Allegre attire les politiques de tous horizons dans la posture avantageuse du contestataire, mais c’est aussi celle de la Conférence de Monterrey qui s’interrogera fin mars sur le financement du développement et les biens publics mondiaux, celle du Sommet mondial du développement durable à Johannesburg fin août, celle aussi où l’Europe met en discussion publique jusqu’au 31 mars son livre blanc sur la gouvernance.

Partout et à tous les niveaux, la même question, la même recherche de régulations. Trois niveaux d’approche complémentaires doivent être en effet mobilisés.
Première approche, l’approche éthique fondée des principes fondateurs clairement débattus, énoncés, partagés et sur lesquels chacun doit s’engager. C’est le sens de l’initiative Global Compact de Koffi Anan qui propose aux entreprises multinationales de s’engager sur un noyau de valeurs dans le domaine du droit du travail, des droits de l’homme, et des pratiques environnementales. C’est aussi l’objectif du Dialogue pour la terre qui sera organisé à Lyon du 21 au 23 février sur le thème mondialisation et développement durable : l’éthique est-elle le chaînon manquant ? Les principes fondateurs républicains et une forme renouvelée de la laïcité y ont toute leur place.
Seconde approche, celle de l’établissement de nouveaux droits : comme le droit à l’eau, à l’alimentation, au logement ou à l’information, avec les institutions internationales pour les faire appliquer.
Troisième approche la gestion de biens collectifs mondiaux qui ne peuvent pas être produits par le seul jeu du marché. Une première liste avait été proposée en préalable au débat de Monterrey : la lutte contre les maladies contagieuses, la défense de l’environnement, la stabilité financière et la connaissance au service du développement. Le document qui sera discuté fin mars n’en fait plus écho.

Quelle est la contribution de la France dans ces débats ? Sur quelles valeurs doit-elle fonder sa contribution ? Quelle stratégie peut-elle développer de façon crédible, seule et au sein de l’Europe ? Quelles sont ses marges de manœuvre ? Comment construire le consensus entre les différents acteurs de la société française et les mobiliser au sein des réseaux d’influence mondiaux ? Comment redéfinir le rôle de l’Etat ? Voilà les questions posées. Celles-ci mettent à bas les idées simples.

Le problème n’est pas de défendre une exception culturelle française, mais de promouvoir la diversité culturelle et linguistique comme un bien public mondial. Pour cela il ne faut pas confondre culture et nombre de titres sur un catalogue de disque ou vernissage mondain. La culture touche à l’identité humaine, elle a un continuum du vécu quotidien jusqu’à la création exceptionnelle. On peut-être frappé que certains pourfendeurs de la culture américaine, stigmatisée à travers Coca cola et Mac Donald, rechignent à promouvoir une culture populaire alimentaire fondée sur les terroirs.

De même il est trop facile de voir dans les anti-mondialisations le nouveau mouvement social qui recompose le clivage droite gauche, les nantis de Davos contre les pauvres de Porto Allegre. On y trouve certes d’authentiques militants de nouvelles institutions mondiales, mais on y trouve aussi un front du Nord qui refuse la concurrence de la main d’œuvre du Sud.

Le nombrilisme français et notre absence de maîtrise politique de ces débats sont dus à l’absence des acteurs français dans les réseaux internationaux. Les associations, les syndicats, les organisations des entreprises ou les scientifiques du monde entier se réunissent en marge des réunions internationales. Ils sont consultés par les organisations des Nations-Unies. Dans cette géopolitique des réseaux, la France est absente. En face les Etats-Unis mènent une diplomatie intégrée mobilisant avec beaucoup d’efficacité tous les réseaux de pouvoir. Cette absence française a une double conséquence : celle d’affaiblir la capacité d’influence de notre pays et celle de nourrir l’incompréhension des enjeux internationaux par la société française. Mais cette absence n’est pas le fruit du hasard.

Il y a deux modèles de décision collective. Le premier qui domine en France, s’appuie sur une vision mécanique illustrée par la vision républicaine d’un citoyen indifférencié client d’un Etat impartial parce qu’éclairé par la qualité de ses hauts fonctionnaires. Le second plus anglo-saxon, repose sur une vision organique de la décision en contexte d’information et de connaissances imparfaites, articulée dans des processus de gouvernance qui mettent en présence des acteurs organisés pour dégager des consensus et des contrats.
Adepte de la première conception, la diplomatie française est la seule affaire des fonctionnaires diplomates qui ont déjà fort à faire à coordonner les ambitions contradictoires des différents ministères, pour ne pas s’encombrer des positions encore plus contradictoires des acteurs de la société.

La Gauche plurielle n’a jamais pu trancher entre ces options contradictoires, dans la gestion du territoire elle penche tout de même plus vers la loi Gayssot que vers la loi Voynet. La première s’appuie sur une planification territoriale dont l’application est régulée par le recours juridique du citoyen. La seconde reprend la procédure des Agendas 21 locaux, proposée à Rio, pour mobiliser les acteurs dans des Conseils de développement autour de stratégies partagées de développement durable.

La double campagne électorale qui s’ouvre handicape la capacité de la France à développer une stratégie ambitieuse et gagnante dans les enceintes internationales, mais elle pourrait être au moins une opportunité de débat. Le danger est qu’aucun candidat ne puisse s’engager clairement dans la défense des nouvelles formes de gouvernance seules aptes à maîtriser les enjeux majeurs contemporains.