Il n’y aura pas de développement durable sans conjuguer gouvernance mondiale et responsabilités nationales. Le président Jacques Chirac a engagé la France à ces deux niveaux. Au plan international la France soutient résolument le multilatéralisme en souhaitant lui donner les moyens d’agir, avec notamment le projet d’Organisation des Nations-Unies pour l’Environnement ou la mise en place d’une fiscalité internationale. Au plan national la Charte de l’Environnement a inscrit l’environnement dans la Constitution comme un droit fondamental et la stratégie nationale du développement durable a permis de mettre en place un programme d’action ambitieux.
En mettant l’environnement dans le même socle constitutionnel que les droits de l’homme de 1789 et ses prolongements économiques et sociaux de 1948, la France a voulu donner un signal politique fondateur. Il s’agit de fonder la nouvelle citoyenneté du troisième millénaire sur des droits et des devoirs vis-à-vis de la biosphère. En considérant que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel, la charte crée le contexte institutionnel permettant d’éviter que les comportements et certains modes de production et de consommation n’affectent la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines composantes essentielles d’un développement durable répondant aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins.
La charte de l’environnement a été adoptée par le congrès le 28 février et promulguée le 1er mars par le Président de la république. Au-delà de l’aspect symbolique des nouvelles valeurs qui fondent le pacte républicain, la charte de l’environnement est aujourd’hui un nouveau fondement sur lequel nos institutions, ses débats et ses jurisprudences, vont s’organiser.
La seconde composante de cette politique est la stratégie nationale de développement durable.
La politique nationale de développement durable a été déployée avec un rythme soutenu depuis le premier séminaire gouvernemental qui s’est tenu le 28 novembre 2002.
Ce premier séminaire a décidé 64 mesures qui depuis ont toutes été mises en œuvre. Il a créé le Conseil National du Développement Durable (CNDD) et lancé le processus d’élaboration de la Stratégie nationale de développement durable (SNDD).
Le CNDD a été installé en janvier 2003 et livré sa contribution un peu plus de trois mois plus tard en avril. Le 3 juin 2003, un Comité Interministériel du Développement Durable a adopté la Stratégie et un programme de plus de 400 actions. L’avancement de la réalisation de ce programme d’action a été présenté au Conseil des Ministres le 1er décembre 2004 par le Ministre Serge Lepeltier.
La tenue annuelle de la semaine nationale du développement durable, dont la troisième édition aura lieu en juin, a permis de mettre en valeur les initiatives exemplaires du développement durable menées par différents acteurs privés et publics pour informer et sensibiliser le public à ses enjeux.
L’expérience acquise en 2 ans par la mise en œuvre d’une politique nouvelle et originale pour la France a permis de franchir une nouvelle étape qui s’appuie sur trois éléments étroitement liés : la revue par les pairs de la stratégie, l’installation d’un nouveau Conseil national du développement durable par le Premier Ministre et un séminaire gouvernemental.
J’évoquerai brièvement les deux derniers points lors desquels les enseignements de la revue ont pu être mis à profit. Le Premier ministre, Jean Pierre Raffarin, a procédé le 7 mars, à l’installation de la nouvelle session du Conseil National du Développement Durable en déclarant : « vous étiez un laboratoire, vous devenez une Assemblée. Quant à nous, nous étions en recherche, nous sommes maintenant en devoir ». Un deuxième séminaire gouvernemental a permis d’actualiser le bilan des actions du Gouvernement, d’échanger sur les pratiques mises en œuvre et de renforcer sa dynamique par l’adoption de mesures nouvelles, notamment dans le domaine du bâtiment et du logement.
Bien entendu le cœur de mon propos portera sur la revue par les pairs de la stratégie nationale du développement durable. Lors du Sommet sur le développement durable de Johannesburg, la France a reconnu toute l’importance de la contribution des stratégies nationales de développement durable dans l’intégration des politiques publiques et le rôle moteur qu’elles pouvaient jouer pour mobiliser l’ensemble des forces vives. Elle a souhaité, dans le même temps, que la Commission du développement durable des Nations Unies serve de cadre pour l’analyse et le partage des différentes expériences, afin de faire partager les bonnes pratiques
C’est dans cet esprit que la France s’est livrée à une revue de sa stratégie par quatre pays pairs, la Belgique, le Ghana, l’Ile Maurice et le Royaume Uni qui ont accepté de lui apporter leur expertise. Le secrétariat des Nations Unies, la Commission européenne et la Francophonie ont également apporté leur concours. Je veux les en remercier car la diversité de nos cultures et de nos approches respectives ne conduisait pas naturellement à l’émergence de concepts communs et d’une vision partagée. Ils auront le loisir de vous présenter leurs recommandations et leurs travaux qui se sont achevés en février 2005.
Compte tenu de la difficulté d’identifier un état zéro de référence, encore à l’étude pour ce qui concerne la France, il ne s’agissait pas de faire évaluer cette stratégie au sens strict, mais de mener une revue permettant d’analyser les bonnes pratiques et d’identifier les obstacles à surmonter, d’identifier les spécificités du contexte de notre pays mais aussi les expériences susceptibles d’être transférées à d’autres pays, voire généralisées.
L’expérience de cette « revue par les Pairs » est éminemment novatrice, même si elle s’inspire des pratiques de l’OCDE focalisées sur les seules performances environnementales, et constitue en elle-même un élément de « pratique du développement durable » en préfigurant un référentiel commun.
Les résultats de la revue par les pairs qui seront présentés aujourd’hui, sont de deux ordres. Le premier est le développement d’une méthode de travail nouvelle que d’autres pays pourront utiliser. Certains de nos partenaires envisagent de se livrer au même exercice.
Le second sur lequel est l’apport et les enseignements concrets pour la France de cette revue.
Parmi la quarantaine de propositions issues de cet examen, nous considérons pouvoir en reprendre près de 80%. Certaines propositions seront prises en compte au fil de l’eau, d’autres impliquent une modification de processus plus politiques. Le plan de travail jusqu’à la révision de la stratégie, n’est pas encore validé par le gouvernement, mais nos hypothèses de travail s’appuient largement sur les recommandations des pairs.
En effet, lors de leur revue, les Pairs ont autant insisté sur l’importance des processus à mettre en œuvre pour aller vers un développement durable que sur les politiques sectorielles : processus dans la prise de décision (meilleure implication des différents acteurs publics et privés) et processus conduisant à l’identification des pratiques favorables au développement durable.
Sur le premier point, il faut retenir que l’élaboration et la mise en œuvre de la stratégie française ont reposé sur des échanges avec un Conseil national du développement durable dont le rôle est peu à peu conforté par les nombreuses saisines dont il fait l’objet et les avis qu’il est conduit à donner. C’est dans cet esprit que le Premier Ministre a installé personnellement le nouveau Conseil national du développement durable. Les recommandations concrètes faites par les pairs sur les relations entre l’administration et le CNDD pourront être reprises. La revue elle-même a sans doute servi aussi de tiers médiateur dans les relations entre la société civile et les fonctionnaires.
Quant au second point, il est cohérent avec la logique retenue par le dernier séminaire gouvernemental : tirant profit de l’expérience de la stratégie initiale du développement durable, principalement orientée vers des politiques sectorielles, avec un programme de près de 400 actions, le gouvernement a décidé de l’actualiser en limitant le nombre de mesures nouvelles et de donner la priorité à des mesures favorables à une amélioration continue en insistant notamment sur la prospective, la recherche et la gouvernance. Les nouvelles mesures sont intégrées dans le programme d’action de la SNDD.
Selon les recommandations des pairs : nous allons nous attacher à mieux hiérarchiser les objectifs stratégiques et à l’intégrer cette stratégie avec les principales réformes des politiques publiques en cours, plan de cohésion sociale, l’habitat social, réforme de la comptabilité publique.
Alors que la stratégie a principalement visé les politiques nationales, les pairs ont évoqué les relations avec les autorités locales. Comme il vient d’être décidé lors du séminaire: les relations contractuelles entre l’Etat et les Régions et les collectivités locales vont désormais s’appuyer sur des démarches communes de développement durable, avec un dispositif de reconnaissance des Agendas 21 locaux, et une réflexion sur la territorialisation des indicateurs de développement durable.
Parallèlement est mené un travail de recensement et de reconnaissance des initiatives locales portant sur la constitution de pôles d’excellence en développement durable ou de centres de ressources susceptibles de mobiliser et fédérer différents acteurs d’un même territoire ou d’une même problématique.
De la même manière, les propositions des Pairs relatives à l’utilisation d’outils stratégiques pour accélérer le processus d’intégration ont trouvé leur écho dans les mesures adoptées par le Gouvernement en vue de rendre opératoire le principe de précaution constitutionnalisé par l’adoption de la Charte de l’Environnement, d’identifier les bons outils économiques ou d’amplifier les partenariats de développement durable avec les pays en voie de développement.
Sans pouvoir détailler, ici, les apports de la revue sur des contenus sectoriels plus précis, la France tient à remercier les partenaires qui par ce travail bienveillant mais sans complaisance nous a permis de mieux percevoir nos points forts et d’identifier les progrès à faire.
Enfin en conclusion, je souhaite évoquer les pistes d’utilisation de mécanisme de revue par les pairs et sa généralisation. Bien entendu nos partenaires développeront leur vision et leur expérience de ce processus.
Il s’agit d’un processus tout à fait adaptable à toutes les situations ou tous les niveaux de maturité de la stratégie nationale de développement durable. Il s’agit bien là d’une méthode de travail en deux étapes avec une première réunion pour définir le champ des activités concernées et organiser le processus compte tenu du niveau de maturité de la stratégie. La seconde étape permet de mener la revue elle-même. Ces deux étapes sont accompagnées par un consultant qui rencontre un certain nombre d’acteurs en parallèle du processus et rédige les documents de travail.
On peut penser que ces deux étapes peuvent faire l’objet de deux décisions politiques différentes. La première étape permettant proposer des pistes pour fixer l’ambition et le champ de la revue. Sur cette base une décision politique permet de lancer la seconde étape et d’en assumer par avance les conclusions.
Le mécanisme proposé permet de faire converger des processus ou des programmes disjoints. Il va bien au-delà des approches classiques « bonnes pratiques ». On peut penser par exemple dans les pays en développement il devrait permettre d’intégrer des programmes sectoriels comme la lutte contre la pauvreté, contre la désertification, ou pour la biodiversité dans une stratégie de développement durable.
La France est prête à soutenir les expériences de revue par les pairs, notamment chez nos premiers partenaires, le Ghana et Maurice. C’est au terme de plusieurs revues et d’ajustement de la méthode que nous pourrons considérer disposer d’un outil stabilisé.