Partenariats dans le domaine des modes de consommation et production.

Intervention à la 18ème Commission du développement durable, Session consacrée aux Partenariats, New York, mardi 11 mai 2010 (photos)


Je vais aborder la nécessité de considérer les modes de consommation à plusieurs niveaux. J’exposerai ensuite l’expérience du groupe de travail sur le tourisme durable du processus à Marrakech et le partenariat qui en est issu, enfin je généraliserai [Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme, 1979] en proposant la mise en place de partenariats mondiaux dans l’ensemble des secteurs concernés par la consommation et la production durable.

Pour commencer, j’emprunterais à Fernand Braudel , l’image de l’économie à trois étages, thème que j’ai développé dans la revue Natural ressource Forum :
– Le rez-de-chaussée est le siège d’échanges informels entre les individus, les familles et les voisins, c’est la matrice de la société et des valeurs culturelles
– Le premier étage, c’est l’économie de marché, le niveau national
– Le deuxième étage, c’est l’économie mondiale
Les processus en jeu et les modes de régulation ne sont pas de la même nature :

Au rez-de-chaussée: les processus socioculturels et communautaires sont à l’œuvre, ils induisent des pratiques culturelles de consommation et de production, ils organisent l’utilisation directe des services des écosystèmes. La consommation est un signal d’appartenance sociale, certaines consommations ostentatoires, le plus souvent non durables, sont valorisées comme étant le signal de la réussite sociale. Les styles de vie et de consommation sont peu accessibles aux politiques nationales qui se déroulent dans un cadre rationnel-légal, avec des leviers politiques, juridiques et fiscaux, ceux sur qui nous focalisons la plupart des débats ici.
Enfin l’international est celui des accords multilatéraux pour la sphère politique mais aussi les processus de normalisation, dont ceux de l’ISO.
L’une des questions est la cohérence entre les activités menées à ces différents niveaux, comment passe-t-on d’un étage à l’autre ?

Nous pouvons illustrer ce problème par le tourisme. L’écotourisme, le tourisme communautaire et rural, le tourisme patrimonial et culturel, sont des moyens de donner une valeur économique et de mettre dans le marché le patrimoine local naturel et culturel. Ces activités qui peuvent se rattacher à l’économie verte, doivent garantir pérennité et l’authenticité des cultures locales et des écosystèmes.

C’est une des questions que vise le tourisme durable qui est applicable à toutes les formes de tourisme dans tous les types de destinations. Il concerte autant le tourisme de masse, et les progrès, voire les réhabilitations des infrastructures existantes que le développement des divers segments du tourisme que nous venons d’évoquer.
Le tourisme durable exige donc l’établissement d’un équilibre entre les trois dimensions économique, sociale et environnementale afin de garantir la viabilité à long terme du développement même du tourisme.
Les aspects positifs et négatifs doivent être été évalués et des stratégies mises en place pour promouvoir les effets positifs et minimiser les effets négatifs.
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Nous pouvons illustrer le tourisme par une approche système avec des questions clés interdépendantes :
– les écosystèmes et la biodiversité
– le changement climatique et l’énergie
– la contribution à l’économie de la communauté locale
– le patrimoine culturel
Derrière ces catégories il y a de nombreux points.
Pour gérer l’ensemble de ces questions l’approche sectorielle du tourisme doit s’insérer dans un cadre politique cohérent qui doit être en accord avec la stratégie nationale de développement durable capable de combiner : le cadre juridique et fiscal, les investissements en infrastructure, les labels, normes et processus de certification, l’éducation et la formation, et le système d’indicateurs et d’évaluation.

Le partenariat sur le tourisme dont je vais évoquer les apports prend la suite d’un groupe de travail sur le développement du tourisme durable mis en place dans le cadre du processus de Marrakech. Pour plus d’informations vous êtes cordialement invités à l’évènement parallèle qui se déroulera demain à 18 heures 15 dans la salle de l’ECOSOC.

La participation au groupe de travail de 18 pays et 25 organisations, 5 Agences des Nations Unies et des organisations intergouvernementales comme l’OCDE ou l’Union Européenne ont permis de soutenir 40 projets.
L’intérêt suscité hier par le groupe de travail et maintenant partenariat est dû à la prise de conscience de l’importance économique du tourisme. Pour la plupart des pays les moins avancés le tourisme et la première source de devise.

Le partenariat vise à transformer le tourisme dans le monde entier, à toutes les échelles, à travers les sept lignes d’action thématiques : définition d’un cadre stratégique, le changement climatique, la lutte contre la pauvreté, la promotion du patrimoine culturel et naturel, le secteur privé, les finances et l’investissement dans le tourisme lié à l’économie verte et l’environnement.

Les activités du partenariat couvrent chacun des segments du tourisme en mobilisant les financements, mettant à disposition des outils de mise en œuvre et de formation, soutenant des projets de démonstration, échangeant sur les bonnes pratiques. C’est-à-dire l’ensemble des activités que vous avez cité Monsieur le Président. Deux types de cibles sont envisagés. Le soutien aux politiques publiques, à la planification et aux politiques d’utilisation des terres à différents niveaux national, local et adaptés aux différents territoires zones de montagne ou côtière, zones naturelles et site du patrimoine culturel. Et le renforcement des capacités des professionnels et des intervenants dans le cycle de vie du secteur, les professionnels et les touristes eux-mêmes.

Pour illustrer, je citerai quelques uns de 40 projets du groupe de travail :
Le projet SIFT : sur la finance mobilisant les bailleurs de fonds et les investisseurs dans le secteur du tourisme sur la base de critères de développement durable
Le projet STSC : pour la certification des labels de tourisme durable (hôtel et tour-opérateurs) sur les critères adoptés après étude approfondie et la consultation des parties prenantes
Le processus de Davos sur le changement climatique et le tourisme
Une campagne de sensibilisation des touristes «passeport vert», suite à un projet pilote mené au Brésil
Enfin différents outils de formation et de renforcement des capacités pour les professionnels du tourisme et les PME.

Ce partenariat pour le tourisme est global il est ouvert aujourd’hui à une large adhésion mais aussi à la recherche de soutiens.

Je répondrais ici à votre première question monsieur le président : le partenariat aborde l’ensemble des leviers que vous avez identifiés et de façon cohérente. Les synergies qui s’en sont dégagées sont sans doute un des facteurs de succès.
Pour la seconde question, plusieurs projets et outils concernent les acteurs locaux. L’engagement de la société civile a plutôt été celle d’organisations internationales qui ont un fort ancrage local. Avec la dynamique du partenariat, il pourrait être envisagé des approches régionales qui seront sans doute plus accessibles à des acteurs locaux.
Enfin le succès de l’initiative doit aussi à l’engagement des organisations internationales, DESA bien entendu, le PNUE, l’Organisation mondiale du tourisme et l’UNESCO mais aussi la CNUCED et la Fondation des Nations Unies, et du climat de coopération qui a pu s’établir entre elles. Enfin ce lien sera aussi valorisé en préparation de la CDD 21 et 22 qui devrait traiter du tourisme.

Vous me permettrez en conclusion de faire des propositions à portée plus générale qui s’appuient sur cette expérience ainsi que celle des 4 années où j’étais en charge de la stratégie nationale de développement durable de la France.
La première est de distinguer au sein des partenariats pour le développement durable dont nous discutons ce matin, des partenariats globaux qui pourraient être mis en place notamment dans les différents secteurs concernés par les modes de consommation et production, ces partenariats se distingueraient d’autres partenariats qui auraient des objectifs limités :
– Global dans 4 dimensions: toutes les composantes du secteur, mondial sur le plan géographique, impliquant tous les niveaux et toutes les parties prenantes
– Une scène mondiale de la discussion qui permet la convergence des concepts et de visions entre toutes les parties prenantes et tous les processus.
– Une légitimité internationale des organismes de soutien, y compris toutes les organisations pertinentes des Nations unies.
– Un équilibre des membres et dans la gouvernance entre les pays industrialisés, émergents et en développement.
– Une participation adéquate de tous les niveaux: international, régional et national jusqu’aux communautés locales où la mise en œuvre est souvent le plus efficace
– Participation des représentants de tous les acteurs, publics et privés, économiques et à but non lucratif
– Un engagement de tous sur une base volontaire pour agir, coopérer, échanger des expériences et développer des outils et des processus de mise en œuvre pratique
– Un mécanisme de direction, de consensus, de mise en œuvre pratique et d’évaluation.
– Le développement d’un réseau (réseau de réseaux) à travers les systèmes d’information adéquats.

Ces partenariats mondiaux prendraient une place dans une gouvernance internationale pour le développement durable à plusieurs niveaux (voir article [->art154]).

L’approche de modes consommation et de production par le cycle de vie doit être approchée par secteur. L’économie verte peut à la fois être considérée un secteur mais aussi doit pénétrer chacun des secteurs.
Les partenariats globaux que nous venons d’évoquer pourraient être le moteur du changement pourvu que l’on trouve un équilibre entre les approches volontaires et les processus politiques multilatéraux.
Second niveau, le niveau national. Les stratégies nationales de développement durable (SNDD) devraient pouvoir envisager les secteurs clés de l’économie nationale et donc adapter au contexte national les processus proposés par les partenariats globaux sectoriels. Cela pose aussi le problème de la coordination avec les documents stratégiques de réduction de la pauvreté (DSRP). Il serait souhaitable que les pays disposent d’une seule stratégie, et non plus une compétition entre des processus imposés par l’extérieur. Mais je n’ai pas le temps de développer cette question pourtant très importante.

Enfin sur le terrain différentes normes volontaires peuvent aider à la mise en œuvre concrète. Je citerai parmi les nombreux processus de normalisation, l’Organisation Internationale de normalisation ISO qui a 20.000 normes en activités dont beaucoup ont un impact sur la durabilité. Parmi celles-ci il faut accorder une place à part l’ISO 26000, les lignes directrices (guidance) sur la responsabilité sociétale des organisations, responsabilité sociale et environnementale considérée comme la contribution des organisations au développement durable. La dernière réunion de l’ISO 26000 se tiendra à Copenhague la semaine prochaine et le vote final devrait avoir lieu cet été.

Le processus de rédaction et de vote de ces lignes directrices qui ne sont pas sujets à certification a impliqué près de 90 pays représentés par 6 parties prenantes : gouvernements, entreprises, syndicats consommateurs, associations et consultants, et un certain nombre d’organisation internationales.
La CDD devrait considérer ces lignes directrices (guidance) volontaires comme un levier pour faire progresser au niveau des organisations et entreprises les approches cohérentes et intégrées du développement durable.

Bien entendu les processus de mis en œuvre de l’ISO 26000 devrait aussi s’appuyer sur les objectifs sectoriels notamment ceux de la CDD et ceux discutés dans les partenariaux, mais aussi s’appuyer sur les objectifs de développement durable, tant dans le domaine de l’environnement que de la lutte contre la pauvreté, issu des stratégies nationales qui permettraient une application du principe de responsabilité commune mais différentiée.
Ces différentes approches doivent fonctionner en synergie.

Je vous remercie de votre attention