Raisonner services de mobilité avant de raisonner infrastructure

L’inéluctable arrêt de l’A45 doit permettre d’envisager des solutions à la hauteur des enjeux, notamment celui du changement climatique. Le rapport du GIEC recommande de réduire de 40 % les émissions d’ici 2030 et zéro en 2050. La question est aujourd’hui de viser une aire métropolitaine Lyon Saint-Etienne zéro carbone d’ici 30 ans et d’inverser des tendances lourdes. Saint-Etienne s’était engagé à réduire de 20% les émissions du secteur transport entre 1990 et 2020, elle ont en fait augmenté de 20%. La lutte contre le changement climatique n’est pas une question de bons sentiments mais de résultats. Ce projet doit être solidaire, créateur de valeur, d’emplois et d’activités économiques. Il n’est pas plus acceptable de faire l’impasse sur la question climatique que d’annuler l’A45 sans une alternative réelle. Pour aider à construire cette alternative et ouvrir la discussion, cinq propositions me paraissent devoir être retenues. Encore devons-nous admettre que la relation asymétrique Lyon-Saint-Etienne (*) est une cause d’augmentation de la mobilité subie. C’est parce que l’amélioration des infrastructures ne peut que renforcer ce phénomène qu’il est nécessaire de raisonner à une autre échelle. Aussi, plus qu’une intervention sur les seules infrastructures de transports, devons-nous rechercher une répartition des activités sur le territoire permettant les rapprochements domicile-travail, commerce-domicile, loisir-domicile, etc. et, surtout, raisonner services de mobilité avant de raisonner infrastructures, ce qui devrait conduire à :

Ne programmer des investissements qu’après avoir mené une planification de maîtrise de la mobilité « 4R » , à savoir :

Réduire la mobilité individuelle mécanique par une évolution comportementale individuelle visant à regrouper les déplacements, à développer les activités courte distance et à adopter des modes doux et collectifs (marche, vélo avec ou sans assistance électrique et nouveaux mode doux roller, trottinette, overboard…) ;

Rationaliser les comportements par des incitations collectives pour faciliter ce changement, des solutions organisationnelles, financières, etc. ;

Requalifier les infrastructures existantes sur le plan environnemental, en intégrant le numérique pour optimiser leur usage ;

Réduire les besoins collectifs de mobilité dans le « métabolisme » de la ville en rénovant et intensifiant les villes-centres et en conditionnant de nouvelles urbanisations à l’existence de solutions de transports collectifs et en développant des activités dans l’espace rural grâce notamment aux opportunités de la transition écologique et énergétique.

Ces actions doivent être ambitieuses et efficaces, et orienté vers des résultats.

Mettre en place une planification intégrée des services de la mobilité dans la conurbation Saint-Etienne Lyon, en lien avec les politiques d’urbanisme et en s’appuyant sur des outils de modélisation et de gestion en temps réel.

Mettre en place une plateforme de mobilité et une application smartphone intégrant l’ensemble des services de mobilité sur la conurbation Lyon Saint-Etienne, intégrant les différents modes de transports (vélo, transports collectif, covoiturage, taxi, voire à terme véhicules autonomes) à partir des applications mobiles existantes (Optymod’Lyon et Moovizy Saint-Étienne). Elle pourrait être opérationnelle si on le voulait dès 2020. L’usager pourrait d’un click choisir en temps réel – ou les planifier à l’avance – ses modes de transport en fonction de ses priorités : rapidité, bas prix, bas carbone… ; la plateforme gèrerait le prix et la rémunération des différents maillons du transport. Une telle application permettrait de massifier le covoiturage comme elle pourrait aussi redynamiser le secteur des taxis. Il s’agirait de copier la simplicité de systèmes prédateurs comme Uber pour les mettre au service du public et de la création de valeur collective.

Geler de façon conservatoire le fuseau qui était réservé pour l’A45 et lancer un appel d’offre pour un partenariat d’innovation pour une nouvelle infrastructure de transport collectif à très faible impact environnemental, c’est-à-dire alimentée par photopiles, silencieuse, suspendue ou enterrée c’est-à-dire sans interruption des trames vertes et bleues et des échanges sur le territoire. Elle pourrait combiner selon les horaires les voyageurs et le fret.

Hyperloop aurait pu répondre à ce cahier des charges. Mais les acteurs économique du territoire se sont opposés, et ont laissé filer les industriels : Transpod à Limoge et Hyperloop Transportation Technologies à Toulouse.

Mais d’autres solutions se positionnent comme le Space-train, dans le prolongement de l’aérotrain imaginé par Bertin à la fin des années soixante. Et surtout un projet issus de notre territoire Supra Ways semble mieux positionné tant sur le plan technique qu’industriel. Il faudrait d’urgence lancer une étude de faisabilité et recourir à la procédure du partenariat d’innovation, qui permet aux collectivités de nouer des coopérations pour innover avec des opérateurs économiques.

Mettre en place une structure de gouvernance coordonnant les services de mobilité et les innovations de mobilité aux différentes échelles de la conurbation Lyon Saint-Étienne, à court terme, par la gestion des horaires et la gestion coordonnée des infrastructures (routières et ferroviaires par exemple), notamment lorsque sont programmés des travaux et, à moyen terme, en veillant à la cohérence entre les niveaux (interurbain, urbain, local) et à la coordination avec les politiques d’urbanisme fixant la localisation des infrastructures et des services.

Dans la perspective des transitions, ces propositions ne doivent pas être considérées comme des contraintes mais comme des opportunités d’innovation et d’investissement dans le monde décarboné de demain. Les territoires innovants qui se positionneront les premiers sur les nouvelles mobilités, règleront leurs problèmes de mobilité tout en attirant les activités économiques et industrielles liées à ces innovations. A cet égard, la conurbation Lyon Saint-Étienne a tous les atouts tant en matière de compétence, de recherche développement que de tissu industriel pour s’emparer de ces enjeux, mettre en place un véritable système d’innovation local de la mobilité (**) et tirer parti des retombées industrielles qui en résulteront.

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(*) Si les deux agglomérations fonctionnent de façon de plus en plus intégrée, il est justifié de parler d’asymétrie compte tenu du transfert progressif des fonctions tertiaires supérieures et des processus de décision à Lyon (Chambre de commerce et Université par exemple) et d’une situation dans laquelle, en 2010, 25 600 Stéphanois allaient travailler à Lyon quotidiennement quand « seulement » 6 600 résidents du Grand Lyon venaient dans Saint-Etienne Métropole.

(**) notamment avec le Pôle de compétitivité CARA (European Cluster for Mobility Solutions) de Lyon.