Intervention conclusive au Séminaire franco-britannique sur les énergies renouvelables

Je vous remercie monsieur l’ambassadeur, je suis très honoré de clore cette journée qui a été très fructueuse. Elle a porté sur les énergies renouvelables qui ont une place essentielle dans la stratégie vis-à-vis des changements climatiques avec la maîtrise de l’énergie, le nucléaire et la capture et la séquestration du carbone. En fait les objectifs de réduction des émissions par 4 ou 5 à horizon 2050 qui figurent dans la stratégie française du développement durable ainsi que dans les réflexions de l’Union impliquent de mobiliser toutes les sources possibles et un développement sobre en énergie. Le Ministre de l’écologie et du développement durable Serge Lepeltier fait d’ailleurs des changements climatiques une de ses priorités. Le protocole de Kyoto et ses engagements ne sont, en effet, qu’une étape, nécessaire certes, mais loin d’être suffisante.
La France se félicite que Tony Blair ait mis la question du climat à l’ordre du jour du G8. Notre pays ne peut que soutenir sa démarche qui fait jouer un rôle essentiel à l’innovation technologique. Le président Jacques Chirac a affirmé son souhait que le sommet du G8 de Gleneagles, permette de réengager les Etats-Unis sur ce sujet qui est vital pour l’avenir de notre planète et que nous sachions faire preuve d’imagination pour convaincre, notamment par des transferts de technologie, les pays émergents pour faire des choix énergétiques durables qui permettront de lutter contre les changements climatiques sans entraver le développement et la croissance économique.
Le contexte du développement durable implique en effet de minimiser les coûts économiques et sociaux des changements des modes de production et de consommation qui sont rendus nécessaires pour diminuer nos émissions. Deux pistes principales permettent de diminuer ces coûts :
– la technologie qui permet d’avoir un résultat plus efficient à coût plus faible
– la recherche d’opportunités en termes économiques, d’emploi, de nouveaux services et nouveaux produits donc de l’innovation aussi

La journée d’échange a porté sur les énergies renouvelables. Avant de tirer des conclusions opérationnelles, car nous souhaitons que cette journée puisse déboucher sur des coopérations organisées et suivies, vous me permettrez de mettre en perspective certains problèmes identifiés pendant ces travaux, et des débats auxquels j’ai pu assister.

Les énergies renouvelables ont des caractéristiques qui les différencient notablement des énergies classiques : elles sont diffuses et intermittentes. En fait l’usage de l’énergie nécessite de répondre à 3 questions où ? quand ? et comment ? La filière pétrolière répondait facilement à ces questions peu de problèmes de transport, peu de problèmes de stockage et une grande flexibilité des usages. Cette période est révolue.
Répondre à ces questions nécessite pour les énergies renouvelables une intégration plus fine dans les systèmes de consommation. Elles se situent autant du côté du management de la demande que celui de l’offre.
Ce changement induit des changements assez profonds. Prenons quelques exemples :
Comment construire des bâtiments à énergie positive sans intégrer les systèmes d’isolation, de stockage l’énergie et de mobilisation des apports gratuits c’est-à-dire de capteurs solaires, et d’autres dispositifs ? Pour les énergies renouvelables de réseaux (éolien, hydrolien…) ces questions néanmoins se posent à des degrés moindres, mais posent le problème d’articulation, notamment la planification des réseaux en même temps que l’offre devient disponible.
La faible taille des installations pose aussi des problèmes de transaction entre tous les acteurs qui sont nécessaires à leur mise en œuvre. Les décisions en système énergétique centralisé sont plus aisées que dans un système décentralisé. Nous nous rendons compte en France aujourd’hui de ces difficultés dans le cadre du déploiement de l’énergie éolienne. J’ai d’ailleurs organisé, il y a quelques semaines une réunion interadministrative sur l’énergie éolienne pour faire émerger des les expériences, échanger des bonnes pratiques et identifier les problèmes rencontrés sur le terrain. Cette posture nouvelle de l’action publique pour faire émerger une énergie décentralisée apparaît comme une véritable rupture pour l’organisation de l’Etat, et des problèmes d’organisation plus globale.
Il apparaît en effet plus facile de mobiliser des moyens pour la fusion nucléaire que pour le renouvelable. Pour la fusion il suffit d’une décision pour déployer les moyens. En revanche le développement significatif des énergies renouvelables nécessite de faire intervenir de multiples décisions, un grand nombre d’acteurs, ce qui est un problème qu’il faut considérer de façon précise.
Le développement significatif des énergies renouvelables nous pose donc des problèmes inédits de par leur nature même. Mais il pose aussi le problème de l’innovation. En effet il s’agit dans la plupart de temps de technologies nouvelles, dans l’enfance, qu’il faut faire émerger et accompagner dans leur croissance.
Deux pilotages de l’innovation sont en général proposés et opposés : le push et le pull, (on n’utilise pas en français les termes de pousser et tirer). Les technologies push sont poussées par l’offre publique et la planification par l’Etat, dans la recherche et le déploiement, c’est-à-dire l’innovation, cela a été par exemple le cas du nucléaire en France. L’approche pull compte sur la demande et le marché pour tirer l’innovation et repose plutôt sur le secteur privé.

Le côté hybride des énergies renouvelables, que j’évoquais précédemment, se retrouve aussi ici. On est à la fois dans le push et le pull. C’est tout le problème de leur gouvernance qui est posé. La puissance publique n’est pas en situation de faire elle-même. Le contexte de la libéralisation ne l’y aide pas, mais de par la nature même des énergies renouvelables, la puissance publique ne peut pas faire elle-même. Elle doit donc chercher à stimuler le secteur privé, et des acteurs divers, faciliter des initiatives variées, en mobilisant des outils nouveaux, souvent des outils du marché. Il faut développer une approche économique assurant la rentabilité des entreprises et des projets, mais aussi l’intervention de divers corps de métiers, le déploiement de compétences nouvelles comme cela a été évoqué dans les ateliers. La question est d’organiser une chaîne plus complexe de décisions, incluant des processus d’acceptation locale des autres occupants du territoire ou des autres utilisateurs des ressources en jeu.

En fait nous sommes dans un système assez bien décrit par la sociologie de l’innovation, et je vous vous prie d’excuser, à l’universitaire que je suis, cette référence un peu théorique. La sociologie de l’innovation considère que le succès d’une innovation dépend plus de la construction d’un « réseau technico-économique convergent » que de la seule performance technique ou d’une planification rationnelle. Alors qu’est ce qu’un réseau technico-économique convergent, c’est la capacité que l’on a de mettre en jeu des acteurs d’origines différentes, privées ou publiques, de la recherche, des collectivités ou autres qui apprennent à parler le même langage et arrivent à partager les mêmes objectifs d’innovation. On est donc dans une culture nouvelle, une culture de réseau où les échanges d’expériences et des bonnes pratiques tiennent une grande part dans le processus d’innovation, ce n’est pas seulement une technique qui doit être imposée mais tout un système complexe de décision qui doit être mis en œuvre. Dans ce contexte nous devons nous poser des questions nouvelles :
– Quels sont donc les acteurs dont les interventions sont nécessaires pour le déploiement des énergies renouvelables ? Il s’agit des acteurs directs, mais aussi des facilitateurs ? Les tables rondes ont montré la variété des activités économiques qui sont liées à ce déploiement.
– Quelles compétences nouvelles ces acteurs doivent-ils maîtriser ?
– Quels mécanismes doivent permettre d’assurer leur intervention conjointe et les transactions techniques et économiques qui assurent la rentabilité économique des projets ?

Comment évaluer les projets ? Mais aussi comment évaluer l’ensemble du dispositif ? Nous devons en effet pouvoir répondre à certaines critiques, par l’évaluation et l’accès à l’information. Il faut vérifier si l’on ne crée pas, avec les marchés accompagnés des rentes de situation ou si au contraire ceux-ci permettent légitimement d’amorcer l’innovation. Voilà des questions posées aux politiques publiques.
Les instruments que nos pays mettent en œuvre, se rapprochent donc du marché, mais aucun n’est sans faiblesse :
– Les procédures d’appel d’offres apparaissent complexes pour ces domaines encore très évolutifs, et prennent difficilement en compte certains critères qualitatifs qui sont pourtant essentiels pour la pérennité des projets.
– Les tarifs de rachats préférentiels peuvent créer une rente aux premiers entrants et risquent d’être faiblement incitatifs ensuite pour l’innovation.
– Les certificats énergie renouvelable peuvent avoir des prix fluctuants et induisent donc des risques économiques pour l’entrepreneur…
Chaque outil a ses avantages mais aussi ses inconvénients. Les instruments quels qu’ils soient, lorsqu’ils s’appliquent uniformément peuvent favoriser les techniques les plus abouties, mais ne pas favoriser l’innovation et donc les technologies qui pourraient être plus utiles à l’avenir. On court le risque du verrouillage technologique, c’est-à-dire de rester dans des ornières technologiques, alors que des innovations permettraient de faire mieux autrement.
Il faut donc rester dans une posture très ouverte sur ces questions.
Il faut développer les projets, mais aussi développer en même temps le suivi et l’évaluation, notamment économique, des projets mais aussi évaluer les politiques publiques pour montrer que l’on a mis en place le dispositif le plus efficace en matière énergétique, au coût le plus faible pour la collectivité que ce coût soit économique, environnemental ou social.

La question de la recherche développement est centrale, puisque ces filières ne sont pas encore toutes rentables et réclament souvent encore des mises au point.
Est-on sûr que toutes les approches sont bien explorées ? Mais bien entendu cette exhaustivité de la recherche des solutions nécessite une coopération internationale, car chaque pays chaque acteur ne pas explorer chaque filière. Il faut se partager les priorités de travail pour pouvoir ensuite se concentrer sur les technologies identifiées collectivement comme les meilleures filières.

La question technologique est donc centrale.

Source : http://www.ecologie.gouv.fr/article.php3?id_article=3818