Climat développer la capacité collective pour les solutions VV160

Le Ministère de la Transition écologique et solidaire a publié en décembre le Projet de Stratégie Nationale Bas-Carbone sous le titre «  La transition écologique et solidaire vers la neutralité carbone » (MTES, 2018), qui actualise la stratégie adoptée en 2015 (MEDDE, 2015). L’autorité environnementale a rendu en mars son avis circonstancié qui souligne de nombreuses faiblesses notamment les lien avec les autres questions environnementales dont la biodiversité (AE, 2019). L’association Entreprise pour l’environnement a publié en mai 2019 un rapport de prospective sur la neutralité carbone : ZEN 2050 (EPE, 2019). Le Haut Conseil pour le Climat a remis de son côté, le mois suivant en Juin 2019 son premier rapport annuel sur la neutralité carbone sous le titre de «  Agir en cohérence avec les ambitions ».

Ces différentes contributions ont des approches différentes. L’autorité Environnementale et le Haut Conseil pour le climat s’adressent aux pouvoirs publics et adoptent une position résolument institutionnelle, considérant principalement la stratégie et les outils politiques. Quand le Haut Conseil envisage le champ des changements concrets ils sont le fruit de la planification étatique : « Le gouvernement doit identifier, puis planifier les changements structurels nécessaires pour atteindre la neutralité carbone, afin de soutenir dans la durée l’emploi et l’économie française. », (HCC, 2019 p. 15).

EPE association d’industriels a adopté une approche économique, qui intègre le cadre juridique mais considère les conditions de la mutation à conduire avec les acteurs : «  Atteindre cette neutralité est une transformation sans précédent ; elle n’est donc possible que si trois communautés d’acteurs réalisent qu’elles sont intimement solidaires dans cette transformation qui va demander des efforts significatifs, et décident d’agir ensemble :

  • les entreprises pour transformer leur offre, innover et investir fortement, dans un contexte où les solutions évoluent et où la concurrence sera renouvelée, et forte ;
  • les pouvoirs publics – locaux, régionaux, nationaux et européens – pour mettre en place de nouveaux instruments afin d’accélérer les investissements de tous sans risques excessifs ;
  • les Français – nous tous – à la fois consommateurs, citoyens, acteurs de la mutation ; » (EPE, 2019)

Les premiers considèrent que le changement vient d’en haut, les autres d’en bas ou du moins par une approche impliquant aussi les niveaux locaux[1].

Pour piloter le changement par en haut, la doxa économique considère que le consommateur est rationnel, et qu’il suffit de lui donner les bons signaux économiques (prix du carbone) pour qu’il réduise son impact climatique. Cela, sous-entend que le consommateur a plusieurs options et qu’il dispose des informations lui permettant une comparaison coût/avantage pour faire le meilleur choix en fonction de son intérêt. Sur le plan juridique, nul n’est censé ignorer la loi, la multiplication des normes suppose que leur mise en cohérence repose sur celui qui doit les appliquer. Le pilotage d’en haut implique tout de même une intelligence d’en bas.

Considérer les solutions concrètes les actions réellement menées par les acteurs, les entreprises, les entrepreneurs sociaux pose la question leur capacité à faire des choix et à agir, dans un contexte où les politiques et outils institutionnel se combinent avec la réalité du terrain, écologique et culturelle, aux innovations et aux expériences des solutions. L’importance de cette capacité est trop ignorée des politiques.

Renforcer les capacités à déployer les solutions

Le renforcement de capacité se définit comme le processus par lequel les individus, les organisations et la collectivité dans son ensemble libèrent, renforcent, adaptent et préservent, au fil des ans leur capacité à gérer leurs affaires avec succès. Cette question de capacité est souvent appliquée à la capacité institutionnelle des pays en développement à mener des politiques climatiques. En fait on doit considérer plusieurs niveaux de capacité :

  1. Les capacités institutionnelles liées aux stratégies nationales de développement durable, de lutte contre l’effet de serre, d’innovation et leurs déclinaisons politiques, plans et programmes menés au niveau national comme local, et du système statistique de suivi et d’évaluation
  2. Les capacités opérationnelles des institutions locales (villes et régions), des entreprises et des associations à initier, monter et conduire des projets, construire et développer des infrastructures, éco-concevoir des produits et des services…
  3. Les capacités techniques des professionnels employés dans les entreprises et les administrations, et l’expertise en éco-innovation, en écoconception… c’est-à-dire les services apportés aux porteurs de projet
  4. Les capacités pratiques notamment celles qui induisent les comportements des consommateurs, leur implication dans le recyclage ou la maîtrise des consommations

Or le projet de stratégie climat et les différents rapports considèrent la question de la formation de façon très limitée et individuelle. Il s’agit principalement de contribuer à la formation professionnelle liée à la reconversion et à l’emploi ou à la sensibilisation et formation des consommateurs.

Les capacités opérationnelles et techniques sont négligées ; or ce sont ces capacités qui permettent d’initier, de développer et de diffuser les solutions pour le climat, et la transition écologique.

Certes il y a les solutions issues de la recherche développement identifiées par la stratégie bas carbone, mais il y a aussi des solutions éprouvées. Le rapport ZEN note qu’à « de rares exceptions près, le déploiement massif des technologies existantes permettrait d’atteindre les niveaux de réduction requis sans attendre de ruptures technologiques. ». Des solutions frugales low tech peuvent aussi concilier faible coût et faible impact sur les ressources.

En fait il ne s’agit pas seulement de technologie, mais aussi de modèles économiques, et de processus, qu’il vaut mieux recouvrir par le terme de solutions.

On doit considérer une approche résolument ascendante : identifier les solutions les plus performantes[2] pour en massifier la diffusion, et pour cela identifier les capacités et ressources qui permettront de les diffuser. Il s’agit par exemple de compétences de management de projet durables, d’écoconception, d’écoinnovation[3], de mise en œuvre des normes et d’évaluation de l’empreinte des projets…

Un renforcement de capacité institutionnelle et opérationnelle s’appuyant sur la formation de tous les acteurs de la chaîne de la décision et d’exécution permettrait d’augmenter l’efficience des investissements verts. Un système d’information permettant d’identifier et décrire les projets les plus performants éclairerait le marché. Des plateformes numériques ad hoc permettraient de faciliter l’accès aux connaissances, et de fluidifier les échanges d’information, de connaissances et d’expérience entre les acteurs impliqués. Cette intelligence globale a un coût.

Une contribution de un pour mille de la finance verte pourrait être consacrée à ce renforcement de capacité. Négligeable par rapport aux sommes investies, elle aurait un effet quantitatif sur le nombre de projets et qualitatif sur leur qualité et leur couverture des risques climat.

Références

AE. 2019. Avis délibéré de l’Autorité environnementale sur la deuxième stratégie nationale bas carbone. Autorité environnementale. n°Ae: 2019 01.

EPE. 2019. ZEN 2050. Zéro émission nette. Imaginer et construire une France neutre en carbone. Entreprise pour l’Environnement.

HCC. 2019. Agir en cohérence avec les ambitions. Premier rapport annuel Neutralité Carbone. Haut Conseil pour le Climat. Paris

MEDDE. 2015. Stratégie Nationale Bas Carbone. Ministère de l’Ecologie du Développement Durable et de l’Energie. 2015. p. 208.

MTES. 2018. Projet de Stratégie Nationale Bas-Carbone. La transition écologique et solidaire vers la neutralité carbone. Ministère de la Transition écologique et solidaire. 2018.


[1] On ici retrouve le débat Lippmann/Dewey qui opposait deux formes de libéralisme retracés dans le récent ouvrage de Barbara Stiegler, « Il faut s’adapter. Sur un nouvel impératif politique. », Essais Gallimard, 2019.

[2] C’est la vocation des Awards de Construction 21 d’identifier les bâtiments et infrastructures exemplaires au niveau mondial

[3] C’est la mission du Pôle écoconception de former l’expertise, élaborer des outils et accompagner les entreprises